Dorothy Winifred Brown, (Dorothy Gibson), Mrs Battier, Mrs Brulatour 1889-1946

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Actrice de cinéma

Née le 17 mai 1889 à Hoboken, New Jersey (Etats Unis)
Morte le 17 février 1945 à Paris (France)
Enterrée au cimetière de Saint Germain en Laye

Dorothy Winifred Brown naquit le 17 mai 1889 à Hoboken dans le New Jersey (Etats Unis). Neuf mois plus tard, son père, John Brown (qui était métallurgiste) mourrait à l’âge de vingt-cinq ans. La mère de Dorothy, Pauline Boeson, se remaria trois ans plus tard avec John Leonard Gibson. Le nouveau mari de Pauline travaillait dans la publicité. Le couple alla s’installer en 1910 à Manhattan à New York. La mère de Dorothy donnera naissance au cours de son deuxième mariage à deux autres enfants mais ils mourront en bas âge.

Dorothy Winifred Brown était d’une rare beauté : elle possédait des cheveux auburn, des yeux bleus et un teint de porcelaine. Très tôt, sa mère l’encouragea à monter sur scène : Dorothy Gibson (elle avait pris le nom de son beau-père) devint très vite une débutante au théâtre sur Broadway dès l’âge de seize ans ; elle apparaissait dans des pièces de théâtre ou des pièces de vaudeville en jouant dans des petits rôles. En plus de son physique, elle avait aussi une jolie voix qu’elle utilisa dans plusieurs comédies musicales au milieu d’une chorale.

Dorothy Gibson

A New York, elle fut longtemps à l’affiche de la pièce « Dairymaids » en 1907, elle avait alors 18 ans. Sa beauté lui permit aussi de poser en tant que modèle, et elle devint l’un des modèles favoris de Harrison Fisher, le célèbre peintre. On lui attribua bientôt le nom de « Fisher girl ». Son visage apparut sur des cartes postales et des produits de cosmétiques.

Elle fit aussi la première page des magazines « Cosmopolitan » et « Ladies Home Journal ». Le 10 février 1910, à l’âge de vingt et un ans, elle épousait à New York son premier mari George Henry Battier Junior, un pharmacien qui venait de Memphis, mais ce premier mariage (sans enfants) devait finir par un divorce en 1913. D’ailleurs au bout de quelques mois de vie commune, Dorothy Gibson était déjà séparée de son mari, et était retournée vivre avec sa mère et son beau-père. Elle continua à travailler pour Fisher, et bientôt sa beauté fut remarquée par le monde du cinéma, et elle signa ses premiers contrats de films muets dès 1911 pour une filiale de la société française l’Eclair qui détenait des studios de cinéma à Fort Lee, dans le Jersey.

Dorothy Gibson en 1911 (par Harrison Fisher)

A l’occasion d’une réception organisée par les studios Eclair, elle rencontra celui qui allait être l’amour de sa vie : Jules Brulatour. Ce dernier était directeur de la Eastman Kodak et co directeur du studio de cinéma « Universal Pictures ».  Il était aussi conseiller des studios Eclair. C’était un homme richissime, mais déjà marié à Clara Isabelle Blouin et père de trois enfants. Bien que Jules Brulatour eût vingt ans de plus que Dorothy, il tomba amoureux d’elle, et ils devaient entamer une liaison discrète dès l’année 1911, liaison qui devait durer six ans, et qui ne fut pas connue du grand public, ni de son épouse.

Son amant la comblait de cadeaux luxueux et l’emmenait en week end dans sa vaste propriété aux environs de New York. Soucieux d’orienter la carrière de Dorothy, Jules Brulatour entreprit de la diriger dans des films qu’il financerait. Dorothy Gibson devint bientôt une « star » après son rôle dans « Miss Masquerader » et « Love finds a way ». Les films de Dorothy Gibson étaient ce que l’on appelait des « one reelers » c’est-à-dire des petits films qui duraient une bobine de film (muets) d’une durée d’une dizaine de minutes. Les critiques saluèrent son naturel à l’écran dans ces deux comédies, mais elle fut aussi une excellente actrice dramatique dans le rôle de Molly Pitcher dans « Hands across the sea ».

Dorothy Gibson en 1911

Cependant, épuisée par le rythme effréné de l’année 1911, elle demanda un congé de quelques mois pour passer des vacances en Europe avec sa mère Pauline. Cette dernière souhaitait se rendre en Italie, puis en France. Dorothy discuta du budget financier de ces vacances qui furent largement financées par Jules Brulatour.

En guise de son amour, ce dernier lui offrit une bague de diamants qui devait faire office de fiançailles en attendant que Jules Brulatour entame le divorce avec son épouse. Folle de joie, et rassurée quant à son avenir sentimental, Dorothy et sa mère Pauline embarquèrent sur un navire qui les emmena en Europe. Les deux femmes passèrent le début de l’année 1912 à Paris, puis se rendirent en train en Italie, plus précisément à Florence où se trouvait une petite communauté d’américains très active. Début février 1912, Dorothy et sa mère se retrouvèrent à Paris où elles dévalisèrent les boutiques parisiennes.

Le Titanic

C’est là qu’un télégramme des studios l’Eclair de Jersey informa Dorothy qu’il lui fallait retourner en urgence aux Etats Unis, car les producteurs souhaitaient mettre en chantier deux films où Dorothy Gibson devait apparaitre en vedette. Raccourcissant ses vacances, et impatiente de retrouver son amant Jules Brulatour, Dorothy Gibson réserva ses billets de retour aux Etats Unis sur le premier paquebot en partance pour les Etats Unis : il s’agissait de la première traversée du paquebot appartenant à la compagnie White Star (sa traversée inaugurale) et le nom du navire était le « Titanic ».

Les deux femmes prirent le train à la gare Saint Lazare pour Cherbourg pour embarquer sur le Titanic qui venait de Southampton le 10 avril 1912. Elles payèrent la traversée en 1ère classe ce qui leur couta 59 £, une somme conséquente à l’époque. Elles montèrent à bord le mercredi 10 avril 1912 ; le même jour, à 20 h 10 le Titanic quitta Cherbourg et la France pour l’escale de Cobh en Irlande. Le 11 avril, après avoir embarqué des passagers irlandais (principalement des passagers de 3ème classe qui émigraient en Amérique), le Titanic quitta l’Irlande vers 13 h 30 en direction de New York.

Le Titanic et l’iceberg

Ce paquebot transportait 2 223 passagers, avec les membres de l’équipage, le chiffre montait à 3 503 personnes : le Titanic était supposé insubmersible car il était équipé de seize compartiments étanches. Il était commandé par le commandant Smith et devait arriver à New York le mercredi suivant. La traversée inaugurale fut des plus plaisantes car l’intérieur du navire était d’un luxe inouï pour l’époque. Les cabines de 1ère classe étaient situées au cœur du navire, là où les vibrations des moteurs se faisaient le moins sentir. Leurs occupants pouvaient bénéficier d’un gymnase, de bains turcs, d’une piscine, d’un court de squash et d’un salon de coiffure ; il y avait aussi plusieurs restaurants : un restaurant à la carte, ainsi qu’un café véranda et un café parisien. Les messieurs de 1ère classe (des millionnaires comme Astor, Guggenheim ou lord Gordon) pouvaient se relaxer dans le fumoir, et sur un pont promenade couvert leur permettant de faire le tour du navire à l’abri des intempéries.

Les canots de sauvetage du Titanic

Outre les cabines de première classe, il existait deux suites qu’on avait baptisé les « suites des millionnaires » : l’une sera occupée par Joseph Bruce Ismay, l’autre par une milliardaire de Philadelphie Charlotte Drake Cardeza. Les cabines des 1ère classes étaient décorées en style Régence, Louis XIV ou Louis XVI. Curieusement, peu de ces cabines étaient équipées de toilettes : ces dernières étaient installées en groupe sur chaque pont. Outre les 1ère classes, il y avait les 2ème classes et les 3ème classes : chaque monde restait dans sa zone (qui contenait les salles de restaurant de chacun et les zones de couchage) et ne pouvait communiquer avec les autres.

Le voyage se résumait à merveille jusqu’au dimanche soir, soit le 14 avril. De nombreux navires en circulation sur la route du Titanic avaient relayé l’information que des ilots d’iceberg se trouvaient dans les parages, sur la route de New York. Malgré cette information, la vitesse du navire ne fut pas ralentie et la trajectoire ne fut pas non plus déviée un peu plus au sud afin d’éviter les blocs de glace. La rumeur prétend que le paquebot était lancé à pleine vitesse pour que le record de la traversée soit atteint lorsque le navire arriverait à New York.

Le Titanic

La nuit du drame, Dorothy Gibson et sa mère jouaient au bridge dans un des salons de 1ère classe du Titanic : elles avaient pour partenaire William Sloper, (un jeune banquier du Connecticut), William Stead, (un rédacteur en chef) et Frederic Seward, (un avocat).  A la fin de leur partie de cartes (à 11.40 du soir) les deux femmes avaient prévu de déambuler sur le pont : Dorothy demanda à William Sloper de l’accompagner : il suggéra qu’elle descende à sa cabine pour s’habiller plus chaudement, et qu’ils se retrouvent sur le palier du pont A : il partit enfiler un pull shetland sous son costume, puis enfila son pardessus d’hiver avant de remonter attendre Dorothy.

Lorsque Dorothy parvint à la cabine, sa mère renonça à la suivre pour sa promenade. Dorothy, au moment de quitter la cabine, sentit le navire bouger et entendit un énorme bruit de tôles froissées.  Peu de temps après, un membre d’équipage cogna à leur porte et enjoignit à Dorothy et à sa mère de se retrouver sur le pont avec leur gilet de sauvetage. Les deux femmes obéirent immédiatement, et elles se rendirent sur le pont A où Dorothy retrouva William Sloper.  C’est à cet instant que Dorothy remarqua que l’avant du navire s’inclinait légèrement vers la droite.

Le Carpathia

Les premiers canots de sauvetage du Titanic venaient d’être déployés : le premier de ces canots (qui était le numéro 7) fut mis à niveau avec le pont A et le premier officier Murdoch et le cinquième officier Lowe demandèrent aux dames (qui étaient toutes des occupantes de couchette 1ère classe) de s’avancer et de prendre place dans le canot. La petite foule qui s’était rassemblée sur le pont (hommes et femmes) refusa de s’exécuter.

Il faisait un froid glacial à l’extérieur, et le navire ne semblait pas en danger de couler. Quelques personnes s’avancèrent vers les canots dont Dorothy, sa mère et leurs deux compagnons de bridge Seward et Sloper. Pour convaincre les passagers l’officier Murdoch précisa qu’il n’y avait aucun danger à monter dans le canot, car la mer était calme, il s’agissait seulement de s’éloigner du navire le temps de voir ce qui n’allait pas, et tous les passagers du canot seraient ensuite à même de remonter sur le navire, une fois les dégâts évalués. Peu de personnes furent convaincues d’abandonner la chaleur et la sécurité du Titanic pour se retrouver sur une minuscule embarcation en pleine mer.

Dorothy Gibson dans “Saved from the Titanic” (1912)

Dorothy Gibson était persuadée que le navire allait couler, et William Sloper l’aida à prendre place dans le canot alors que Frederic Seward installait sa mère, Pauline, à côté d’elle. Dorothy agrippa la main de Sloper, et insista pour que le jeune homme vienne aussi : après avoir reçu l’autorisation de l’officier Murdoch, Sloper et Seward montèrent dans le canot. Pendant une dizaine de minutes, Dorothy contempla le visage des passagers restés sur le pont et peu enclins à grimper dans le canot.

Elle fut rejointe par Gilbert Tucker, Margaret Hays (qui tenait son chien dans ses bras, un loulou de Poméranie) ainsi que Helen Bishop, jeune mariée et son époux. L’officier Murdoch demanda si d’autres dames voulaient monter à bord du canot : aucune ne se présenta, et trois hommes purent monter à bord. Il n’y avait que trente personnes à bord du canot (sur les 65 passagers qu’il pouvait contenir). A 0 h 40, l’officier Murdoch après une ultime demande en mégaphone pour inciter les gens à grimper dans le canot, ordonna qu’on descende le canot n° 7 à la mer. Le premier canot du Titanic à toucher la mer fut donc celui de Dorothy. C’est ainsi que dans sa chaloupe qui pouvait contenir 65 passagers, il n’y eut que 19 passagers embarqués. La chaloupe descendit les 24 mètres qui séparaient le pont des embarcations de la ligne de flottaison, et aussitôt les trois membres d’équipage ramèrent pour s’éloigner du bateau jusqu’à une distance de 200 miles.

Jules Brulatour, 2ème mari de Dorothy Gibson

Pour la petite histoire, le Titanic contenait seulement vingt canots et le navire pouvait embarquer un maximum de 3 511 personnes. Le règlement maritime de l’époque imposait seize canots par paquebot (pouvant donc sauver un maximum de 962 personnes). La White Star, propriétaire du Titanic avait rajouté 4 canots aux parois rétractables, ce qui faisait monter le chiffre de 962 personnes à 1 178 personnes. 

Malgré cela, on était encore loin de sauver la totalité des personnes embarquées à bord du Titanic (soit 3 503 personnes) : cette inconscience s’expliquait sur le fait qu’à l’époque on pensait fermement que même en cas d’avarie, le Titanic serait secouru à temps (il pouvait se tenir à flot puisque insubmersible) et serait évacué par les secours. Le 2ème canot qui fut mis à flot fut le n° 5. A cette instant, la première fusée de détresse fut tirée du Titanic. Le bruit de cette fusée inquiéta beaucoup les passagers qui commençaient maintenant à s’interroger sur leur sécurité. Heureusement, une note optimiste demeurait : l’orchestre continuait à jouer dans le salon des 1ères classes. Le troisième canot a entamé sa descente fut le n° 3 à 0 h 55 avec 32 personnes à bord. A 1 h 00 du matin aucun des canots bâbord (à gauche du bateau) n’avaient été décrochés.

Dorothy Gibson dans “the lucky hold up” en 1912

Les passagers du canot n° 7 (celui de Dorothy) étaient aux premières loges pour voir ce qui se passait sur le Titanic. Un délai de deux heures s’était écoulé entre la mise à l’eau du canot et bientôt chacun put voir la rapidité des évènements. Le navire n’avait cessé de s’incliner, l’eau s’engouffrant par les compartiments déchirés par l’iceberg. Bientôt le navire se mit à prendre l’eau et les gens à bord commencèrent à paniquer.  Les passagers de 3ème classe furent autorisés à grimper sur le pont des embarcations (l’accès à ce pont était alors interdit par des grilles). Un des passagers du canot de Dorothy décrira que la mer était à cet instant parfaitement calme et que soudain toutes les lumières du Titanic s’étaient éteintes jusqu’à devenir très pales.

Quelques instants plus tard, les passagers des autres chaloupes mises à l’eau virent, horrifiés, la silhouette du navire se dresser perpendiculairement dans les airs, et puis, dans un brusque mouvement, un rugissement se fit entendre, celui de dix mille tonnes de charbons s’écoulant contre les flancs du navire et le bruit effrayant du renversement de tout ce qu’il y avait dans l’intérieur du navire jusqu’à ce qu’un grand cri s’élève à l’endroit où le navire s’était dressé.  Le navire se brisa en deux et les chaudières explosèrent. Dorothy Gibson, glacée de froid, et agrippée à la main de sa mère, précisera plus tard qu’au moment où la clameur des malheureux plongés dans l’eau glacée se fit entendre, il lui fut impossible, par la suite, de chasser de sa mémoire ce cri terrible provenant des milliers de personnes qui furent jetés dans la mer glacée accompagnées du cri des personnes dans les chaloupes qui voyaient mourir leurs êtres chers.

Dorothy Gibson dans “Saved by the Titanic”

Sur les 3 503 personnes qui se trouvaient sur le Titanic, seulement 711 furent sauvées : dont 499 passagers (parmi eux 203 membres des 1ère classes) et 212 hommes d’équipage. Ceux qui étaient tombés à l’eau moururent d’hypothermie dans les minutes qui suivirent, il y eut des scènes où les passagers des canots supplièrent les membres d’équipage pour revenir sur le lieu du naufrage afin de sauver ceux qui pouvaient l’être. Certains canots attendirent une demi-heure avant de revenir sur le lieu du naufrage et ce, afin d’éviter qu’un trop grand nombre de naufragés ne grimpent dans le canot et le fasse chavirer.  Seuls deux des 18 canots de sauvetage se portèrent au secours des noyés.

C’est ainsi que des mères, des filles et des épouses durent endurer d’entendre les cris de détresse des passagers qui se noyaient et appelaient à l’aide. Ceux qui ont tenté de nager sans gilet ont sans doute été les premiers à mourir. Ceux qui se sont mis à nager fébrilement pour atteindre un canot ont, eux, accélérer les effets de l’hypothermie et sont morts de froid. Sans compter les femmes qui étaient en robes de chambres et vêtements de nuit, et aussi les enfants… Dorothy Gibson du canot n° 7 assista à cette inhumanité. Les membres d’équipage présents dans les canots étaient conscients qu’ils n’avaient avec eux aucune ration d’eau ni de nourriture et beaucoup doutaient de pouvoir être secourus à temps dans cette nuit glaciale alors qu’ils étaient entourés de blocs de glace. L’unique espoir était qu’un navire qui circulait non loin du Titanic avait pu entendre leur cri de détresse, et heureusement pour eux, le navire le Carpathia avait entendu à la radio le cri de détresse du Titanic et faisait route en forçant ses moteurs sur le lieu du naufrage du Titanic.

La foule à New York qui attend l’arrivée du Carpathia

La nuit de la catastrophe, le Carpathia se trouvait à 58 miles du Titanic, et avait quitté New York le 11 avril en direction de Gibraltar. Il avait 743 passagers à bord (pour une capacité maximum d’accueil de 2 000 personnes). C’est l’opérateur radio du Carpathia, Harold Cottam, qui, sur le point de se coucher entendit l’appel au secours du Titanic. Aussitôt prévenu le commandant du Carpathia, Arthur Rostron, fit route à toute vitesse vers la position indiquée par le Titanic. Il mettra plusieurs heures à atteindre le lieu du naufrage notamment en raison des nombreuses glaces présentes sur l’océan.

C’est au matin que la silhouette du Carpathia se présenta et put récupérer les survivants des canots du Titanic. A 4 h 10, le premier canot (le n° 2) arriva contre la coque du Carpathia. Le canot de Dorothy arriva peu après. Elle et sa mère furent hissées sur le navire et on attribua une chambre à la jeune femme frigorifiée qui dormit 20 heures d’affilée. A 8 h du matin, tous les canots du Titanic avaient été secourus. Les passagers du Carpathia prêtèrent leurs chambres aux malheureux survivants du Titanic et le navire fit route vers New York où la nouvelle du naufrage venait de faire l’objet d’une bombe. Une foule de reporters, de familles angoissées, d’amis, se massait sur les quais d’accostage de la White Star. Le Carpathia passa près du quai de la White Star et y déposa les canots du Titanic, puis poursuivit plus loin son arrivée sur les quais de la Cunard. Dorothée et sa mère furent pris en main dès leur arrivée à New York le 18 avril.

Son beau-père vint la chercher et les emmena dans un hôtel de New York. Le même jour, Dorothy entra en contact avec Jules Brulatour, fou d’angoisse depuis la nouvelle du naufrage du Titanic. Ils se retrouvèrent discrètement dans une chambre d’hôtel. L’immense publicité faite par le drame du Titanic amena les studios qui employaient Dorothy à la persuader de jouer (une semaine après !) son propre rôle dans un film intitulé « Saved from the Titanic » : la jeune femme avait revêtu les vêtements qu’elle portait lors de la nuit du drame : une chemise de nuit blanche en soie et par-dessus un cardigan et un manteau de polo.

Ce film muet (d’une dizaine de minutes) fut un des succès de l’année 1912, il fut projeté le 16 mai 1912 à peine un mois après le naufrage du Titanic. Malheureusement un feu dans les studios Eclair basés à Jersey détruisit à jamais les copies de ce film. En mai 1912, certainement suite au contrecoup de l’évènement traumatique du Titanic et désireuse de consacrer plus de temps à son amant Brulatour, Dorothy Gibson annonça son retrait en tant qu’actrice. Elle engagea un procès contre la White Star afin d’être dédommagée de ses bagages ayant coulé avec le Titanic pour une somme de 2 382.75 $, sa mère, Pauline, fit de même pour 1 485.75 $. Puis, afin d’être libre de pouvoir construire un avenir avec Jules, elle divorça en 1913 de son premier mari.

Dorothy Gibson avait réalisé 22 films pour les studios Eclair et elle était l’une des stars les mieux payées du cinéma muet derrière Mary Pickford.  Elle se lança alors dans une carrière de chanteuse, et participa à la revue de « Madame saint Gene » en 1915 à New York. Cette année-là, la femme de Jules Brulatour le poursuivit pour adultère après qu’elle eut découvert de façon fortuite la liaison de son mari avec Dorothy Gibson. Cette dernière avait emprunté la voiture de sport de Jules Brulatour, et avait percuté un piéton en plein centre de New York : le lien entre la conductrice et le propriétaire du véhicule fit rapidement le tour de toute la presse, et c’est ainsi que Mme Brulatour apprit que depuis des années son mari entretenait Dorothy Gibson comme maitresse. Le divorce prit fin deux ans plus tard en 1917, et Jules Brulatour put épouser Dorothy le 6 juillet 1917.

Jules Brulatour et sa troisième femme Hope

Mais la première épouse de Brulatour continua à le poursuivre de sa haine : elle contesta la légalité de l’union avec Dorothy, car Jules avait obtenu son premier divorce dans l’état de Kentucky au lieu de celui de New York, lieu de son domicile. Les tracasseries bouleversèrent son projet de carrière en politique, et Dorothy et lui se disputèrent de plus en plus jusqu’au point où ils tombèrent d’accord pour se séparer et divorcer en 1919. La jeune femme eut droit à une confortable pension mensuelle.

De 1919 à 1927, Dorothy et sa mère firent de fréquents voyages entre les Etats Unis et la France, passant du temps en Suisse, en Grande Bretagne, en Italie et à Gibraltar. La mère de Dorothy préféra s’installer en Florence, alors que Dorothy passait plus de temps à Paris. Le beau-père de Dorothy mourut à New York en septembre 1932 : curieusement ni sa femme (Pauline) ni sa belle-fille (Dorothy) ne firent le déplacement pour assister à ses funérailles. Dorothy avait assez d’argent pour lancer des fêtes et des cocktails à Paris ou elle côtoyait des amis comme Colette, H G Wells et James Joyce.

H G Wells

Elle décrira sa vie à un journaliste en 1934 : «  je ne me suis jamais souciée de ma carrière au cinéma, et je suis contente de ne plus travailler dans ce secteur, c’était un métier difficile, j’ai eu ma part de problèmes et de peines comme vous le savez mais depuis que je suis en France, je me suis remise de tout ça et je me sens heureuse.

Qui ne le serait pas dans ce pays magnifique ? je m’amuse tous les jours mais j’ai peur que cela ne dure pas. J’ai eu ma vie de rêve et je suis sure qu’un jour un nuage sombre viendra obscurcir tout cela à jamais ».

Prison de San Vittore à Milan

Quant à Jules Brulatour, il avait refait sa vie, et devait épouser une autre actrice : Hope Hamtpon (une reine de beauté du Texas) en 1923. Il la lancera aussi en tant qu’actrice de films muets, jusqu’à ce qu’elle décide (comme Dorothy) de poursuivre une carrière de chanteuse.  Lorsque la Seconde Guerre Mondiale éclata, Dorothy était en visite à Florence chez sa mère. Il lui fut impossible de revenir sur Paris. Contrairement à certains de ses compatriotes qui souhaitaient retourner aux Etats Unis, elle hésita avant de prendre une décision dû à l’état de santé de sa mère. Lorsqu’elle se décida, il était trop tard, l’Allemagne et l’Italie ayant déclaré la guerre aux Etats Unis. Elles étaient retenues toutes les deux à Florence.

Au printemps 1944 elle était toujours en Italie, à Florence quand la police italienne vint l’arrêter pour la conduire dans un centre d’internement allemand. Elle tenta de s’échapper, mais fut emmenée dans le camp nazi de Fossoli. Par la suite, elle fut transportée à la prison de san Vittore à Milan, le 16 avril 1944. Elle décrira cette prison comme « un lieu de mort permanent ». Elle serait morte dans cette prison si un agent double (qui souhaitait intégrer le service secret des Alliées en Suisse) ne l’avait pas soustraite à ce camp en la faisant passer pour une espionne des nazis.

Dorothy Gibson en 1950

 Elle arriva effectivement en Suisse où elle fut remise dans les mains du consul général américain, James G Bell qui la jugea trop niaise pour être une véritable espionne des nazis « elle n’était pas assez finaude pour être une espionne » dira t-il . En été 1945, elle put retourner à Paris. A son retour, Dorothy Gibson devint la maitresse d’Emilio Antonio Ramos, attaché de presse pour l’ambassade d’Espagne à Paris. Ils s’étaient rencontrés avant la guerre en 1939 à Paris. Cependant Dorothy souffrait d’hypertension, et son état physique s’était détérioré après l’expérience traumatisante d’avoir survécu à un camp d’internement allemand. Elle devait mourir d’une crise cardiaque dans son appartement de l’hôtel Ritz le 17 février 1946 à l’âge de 57 ans. C’est la femme de ménage qui découvrit son corps.

Quelques mois plus tard, le deuxième mari de Dorothy, Jules Brulatour, devait lui aussi mourir le 26 octobre 1946 âgé de 76 ans. Dorothy avait fait un testament où elle léguait sa fortune entre son amant espagnol et sa mère (qui pour une personne à la santé fragile devait lui survivre jusqu’au 20 mars 1961).  Ironie du sort, cette dernière devait elle aussi être retrouvée morte dans une chambre d’hôtel (l’hôtel Belmont) à Paris, à l’âge de 94 ans. Les deux femmes sont enterrées au cimetière de Saint Germain en Laye dans les Yvelines.

 

 

Sources :

 

  • « Titanic, des vies dorées » de Hugh Brewster
  • « Finding Dorothy » de Randy Brian

 

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