Mary Wilcocks, Mrs Baker (“princess Caraboo of Javasu”) 1792-1864

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Portrait par Thomas Barker en 1817

Née le 11 novembre 1792 0 Witheridge, Devonshire (Angleterre)
Morte le 24 décembre 1864 à Bristol (Angleterre)
Enterrée au cimetière de Bristol

Mary Wilcocks fut l’héroine de la plus grande imposture de l’année 1817 en Angleterre.

Un beau jour d’avril 1817 un cordonnier de la ville de Almondsbury (dans le Gloucestershire) rencontre dans la rue du village une jeune femme désorientée. L’inconnue porte des vêtements exotiques (un turban autour de la tête, une robe qu’elle a enroulée autour d’elle) et s’exprime dans un langage incompréhensible que le pauvre cordonnier est bien en peine de comprendre.

La jeune femme est de taille moyenne, elle est mince, et elle porte des vêtements propres. Elle n’est pas précisément belle mais elle possède de beaux yeux noirs. Intrigué, le cordonnier emmène la jeune femme chez lui, et son épouse en prend soin. Mais au bout d’une journée, ne parvenant pas à se faire comprendre de l’inconnue, qui leur parle moitié par signes, moitié dans une langue inconnue, le couple décide de l’emmener à l’asile des pauvres de la ville d’Almondsbury.

L’administration de l’asile, ne sachant pas quoi faire de cette jeune femme étrangère convoque le magistrat de la ville, un dénommé Samuel Worrall (dont la femme, Elizabeth est américaine) qui habite Knole Park et lui confie le soin de savoir qui est cette jeune femme.

Knole Park (demeure des Worrall)

L’unique mot que les gens de l’asile ont réussi à comprendre c’est le terme « Caraboo » car la jeune femme se pointe du doigt en répétant ce mot. Chacun en déduit donc qu’elle se prénomme Caraboo. Au domicile des Worrall, la jeune femme révèle un comportement très étrange : le magistrat et son épouse lui ont donné une chambre à part, mais elle insiste pour dormir à même le sol. Parmi les domestiques, il y a un cuisinier grec qui a beaucoup voyagé et même lui ne parvient pas à déchiffrer la langue de l’inconnue : elle ne parle pas le grec, ni le français ni aucune langue latine. Elle n’a, bien sur, aucun papier d’identification sur elle, et ne possède que la somme de six pence. Les époux Worrall examinent ensuite son accoutrement : ses vêtements consistent en une robe de coton noire avec un rang de mousseline autour du cou, et un châle noir qu’elle enroule autour de sa tête. Elle a aussi un châle sur ses épaules, des chaussures en cuir et des bas en laine noire. Les manières de Caraboo (comme les Worrall l’appellent maintenant) sont ceux d’une personne éduquée.

La princesse Caraboo

Elle se tient très droite mais grimpe aux arbres. Elle arrive même à tenir en équilibre sur le toit de la maison, n’est pas sujette au vertige et provoque la frayeur des Worrall. Elle a des cheveux très noirs, et des dents très blanches. Les lèvres de l’inconnue sont pleines, et ses mains sont soignées. Elle est de petite taille (1.60 m) et plutôt bien proportionnée. Elle ne posséde pas de bijoux, et semble avoir dans les vingt cinq ans. Côté nourriture ; elle refuse de manger de la viande, et ne boit que de l’eau. Elle refuse aussi le vin et la bière. Elle nettoie aussi systématiquement son verre avant de boire dedans. Les Worrall font alors appel au curé de la paroisse qui est un homme lettré, qui possède plusieurs livres encyclopédiques. Dans l’un de ces livres, la jeune femme pousse des cris fébriles et désigne l’image où deux chinois en costumes traditionnels se tiennent côte à côte. De même elle pointe du doigt l’image d’un ananas dont le dessin orne l’une des pages.

De plus en plus intrigués les époux Worrall l’emmènent à la ville voisine de Bristol où on la confronte à un détenu de la prison (un portugais ayant beaucoup bourlingué en mer de Chine et connaissant plusieurs langues exotiques). Mis en présence de la jeune femme, le marin portugais finit par écouter le discours de la jeune femme. Il déclare qu’elle parle dans une langue qui mélange le malais et le chinois. Avec des gestes et en traduisant les paroles de la jeune femme il finit par comprendre ce que celle-ci s’efforce de dire depuis plusieurs semaines.

St Giles à Londres

La jeune femme semble s’animer de plus en plus au fur et à mesure qu’elle raconte sa vie : elle s’appelle bien Caraboo, mais elle est aussi princesse dans son pays et vient de l’ile de Javasu. Elle a été capturée et enlevée il y a plusieurs mois par des pirates locaux qui l’ont vendu à Batavia en tant qu’esclave. Elle précise que son père et sa mère ont été tués au cours de cet rapt, et que sa famille est très riche. Elle a été achetée sur le marché aux esclaves de Batavia et emmenée sur un navire britannique qui, onze mois plus tard est venu s’ancrer au large de la ville de Bristol. Une nuit, elle est parvenue à sauter du navire et à gagner les côtes anglaises à la nage. Parvenue au rivage et épuisée, elle a troqué ses vêtements de soie avec les vêtements d’une jeune femme auprès de qui elle était venue mendier de la nourriture après son évasion. Elle a ensuite erré pendant plusieurs semaines avant d’arriver à Almondsbury. Les vêtements de son pays qu’elle portait sur le navire étaient les suivants : une cape ornée de 7 plumes de faisans ; sa jupe était une longue traine de tissu qu’elle entortillait autour de sa taille ; quant à ses cheveux, ils étaient ramassés autour de sa tête et tenus par un peigne en écaille de tortue.

La princesse Caraboo à Bath

En entendant cette histoire tragique (traduite par le prisonnier portugais), les Worrall décident de ramener la jeune femme chez eux et de s’en occuper. Pendant les dix semaines qui vont suivre, la princesse Caraboo va être la coqueluche des salons de Almondsbury et aussi de ceux de Bristol. Son comportement étrange ne manque pas d’ajouter à sa légende exotique : elle sait tirer à l’arc, manier le sabre, et nage toute nue dans l’eau. Elle prie un dieu qu’elle nomme Allah Talla. Elle continue de se vêtir de tissus exotiques et plusieurs journalistes locaux viennent la voir pour raconter son histoire tout en croquant son portrait dans les magazines. Un jour que les Worrall l’ont emmené à Bath, elle fait sensation dans un salon huppé où les aristocrates du coin vont jusqu’à s’incliner devant la princesse Caraboo. Outre ses vêtements exotiques, on remarque ses tatouages dans le cou qu’un médecin de Bristol (passionné de légendes de l’Orient) reconnait comme étant des marques portées par les membres de la royauté d’Indonésie. Les journaux, à l’affut du moindre de ses mouvements, se régalent à raconter son histoire qui finit par atteindre la ville de Londres.

La ville de Bath

Les articles qui lui sont consacrés contiennent immanquablement un portrait de la jeune femme dessiné au crayon. Pendant tout le temps de son séjour chez les Worrall, elle ne prononce pas un seul mot d’anglais ou d’autres langues européennes, que ce soit le français ou l’italien, même dans son sommeil. Elle continue de parler une langue incompréhensible et souvent se fait comprendre par gestes. Elle continue de refuser la viande mais accepte le poisson et aussi le thé. Elle est très friande des bains et des ablutions. Elle s’agenouille près de la pièce d’eau à l’arrière de la maison des Worrall et asperge d’eau son visage et ses mains. Evidemment, la diffusion de son histoire par les journaux provoque un engouement sans pareil : le comte de Cork vient la voir ainsi que le marquis de Salisbury. Certains se cotisent pour permettre à la princesse Caraboo de rentrer chez elle. C’est alors qu’une Mrs Neals qui tient une pension en ville à Bristol lit l’article du journal consacré à la princesse Caraboo.

Le Bristol Journal

Elle écrit au rédacteur en chef du Bristol Journal et est catégorique : la jeune femme dont le portrait est dessiné dans le journal lui est familière : pour elle, la princesse Caraboo n’est autre que Mary Wilcocks, une fille de cordonnier du village de Witheridge dans le Devon. Elle l’avait employé comme domestique plusieurs mois auparavant. Une confrontation physique a lieu organisée par les autorités de Bristol, et Mrs Neals qui reconnait formellement être en présence de Mary Wilcocks, son ancienne domestique. Confrontée à ses mensonges, les Worrall et notamment Elizabeth presse la princesse Caraboo de questions. Au bout d’un laps de temps assez court, la princesse Caraboo laisse tomber le masque, et la jeune Mary Wilcocks reconnait son imposture. Elle raconte alors en bon anglais pourquoi elle a inventé cette histoire. Née dans une famille pauvre, elle n’avait reçu aucune éducation dans un foyer où le père et la mère buvaient et n’avaient ni l’un ni l’autre de travail régulier. A l’âge de huit ans, elle fut envoyée par ses parents dans une usine pour filer la laine, et ce pour les périodes d’hiver.

En été, son père la faisait revenir à la maison pour l’envoyer aux champs afin de ramasser le blé pour un fermier voisin. A seize ans, son père lui fait quitter l’emploi aux champs et en usine pour l’expédier comme domestique dans une ferme du voisinage (elle sert comme domestique mais aussi aux champs dès qu’on a besoin de bras). Bien sur, le salaire rapporté par la jeune Mary est aussitôt englouti par les parents. A dix sept ans, elle refuse de continuer son travail à la ferme : son père lui flanque alors une raclée. Dans la nuit elle s’enfuit avec le dernier salaire qu’elle a récolté en poche, et part pour la ville d’Exeter. Elle finit par être embauchée par un cordonnier pour livrer les chaussures. Elle dépense son premier salaire pour l’achat d’une jolie robe, mais là encore elle doit quitter son emploi au bout de deux mois pour échapper aux assiduités de son employeur.

La ville d’Exeter

Elle tombe alors dans la mendicité pour survivre, et arrive à Bristol où elle reste peu de temps pour gagner la ville de Londres. Là elle tombe gravement malade, et elle est admise à l’hôpital de St Giles. En fait, elle est enceinte, et elle accouche d’un fils dont elle ne s’occupe pas et qu’elle remet aux enfants trouvés. Quelques semaines après l’accouchement, elle trouve un emploi de domestique chez une Mme Matthews, de stricte religion calviniste, qui lui apprend à lire et à écrire. Elle se lie d’amitié avec les voisins de palier qui sont juifs et notamment avec leur cuisinier qui a voyagé et lui raconte ses voyages qu’il a effectué dans la marine marchande britannique.

Elle a de plus en plus de mal à vivre avec sa patronne qui est stricte, et souhaite la convertir à la religion protestante. Refusant de subir la pression de sa maitresse, et malgré les bontés de celle-ci qui a contribué à son éducation, elle préfère s’enfuir à nouveau, et cette fois elle se rend dans le Devonshire. En chemin, elle tombe sur une bande de brigands qu’elle rejoint de son plein gré, et qui lui enseigne comment tirer au pistolet. Mais cette vie dangereuse lui fait peur et elle les lâche au bout de quelques semaines et elle continue à vivre de mendicité.

Bandit de grand chemin

Sur le chemin qui la ramène à Bristol, elle fait la rencontre d’une bande de bohémiens qui l’accueille, et avec qui elle restera plusieurs mois. Elle apprend à lire les cartes de tarots qui prédisent l’avenir, et écoute avec ravissement les contes que les gitans racontent le soir au coin du feu, particulièrement elle est fascinée par les récits des voyages lointains. Beaucoup viennent d’Espagne, mais certains bohémiens viennent du Moyen Orient avec leur légende de princesses et de princes arabes.C’est à ce moment là qu’elle entreprend de créer la princesse Caraboo. Le Moyen Orient étant encore trop proche, elle imagine l’existence d’une princesse de l’ile d’Indonésie. L’histoire d’une riche princesse enlevée à son pays par des pirates lui parait l’histoire la plus alléchante.

Et quoi de plus plausible lorsque ladite princesse ne parle pas un mot d’anglais ? Elle s’invente une langue mêlant le javanais, l’arabe et le hollandais. Quant aux marques physiques qu’elle porte au cou, il ne s’agit pas évidemment des tatouages d’une tribu indonésienne, mais c’est le résultat d’une coupe de ses cheveux mal exécutée par un ciseau peu aiguisé dans l’hôpital pour les pauvres de Londres. Pour éviter les poux et autres problèmes hygiéniques, les jeunes femmes pauvres avaient la tête tondue à ras. Au lendemain de son accouchement, encore fiévreuse on avait coupé sa chevelure à la va vite.

L’imposture de la princesse Caraboo, une fois dévoilée, fait boule de neige : la presse de Londres s’empare de l’histoire et se moque de la crédulité des bourgeois de Bristol qui l’avaient reçu dans leur salon. Bientôt des articles de haine réclament un châtiment exemplaire pour celle qui a osé duper ses bienfaiteurs. Curieusement, le comte de Cork ne lui tient pas rigueur, mais les bonnes dames de la société de Bristol sont les plus acharnées. Inquiète sur le sort qui attend sa protégée, et bien que celle-ci se soit moquée de sa crédulité, Elizabeth Worrall a pitié de Mary. Elle prend attache avec des dames de charité qui doivent se rendre en Amérique, et réussit à négocier le passage de Mary sur un navire en partance pour Philadelphie.  Elle lui achète un billet aller sur le « Robert and Anne » et convainc Mary de s’embarquer le 28 juin 1817.

Navire voguant vers l’Amérique

N’ayant pas le choix, Mary accepte de se conformer au plan de sa bienfaitrice. Cette dernière lui remet alors le pactole récolté pour la princesse Caraboo. Le voyage se passe sans histoire, mais arrivée en Amérique, Mary en désaccord avec les dames de charité qui l’ont accompagné, décide de les quitter et se fait embaucher comme « princesse Caraboo » dans un théâtre du Washington Hall à Philadelphia. Séduit par son histoire, le directeur l’embauche pour quelques courtes représentations face à un public nouveau où elle raconte son histoire de kidnapping cette fois dans un anglais compréhensible. Mary va alors vivoter pendant sept ans en racontant son histoire dans des théâtres, ou dans des cirques ambulants jusqu’au jour ou à bout de ressources, ou peut être parce qu’elle a le mal du pays, elle décide de rembarquer pour l’Angleterre en 1824.

La ville de Philadelphie

Bien que de nombreuses années se soient écoulées, son histoire fait toujours sensation à Londres : elle réussit ainsi à se faire engager par un théâtre londonien et elle monte un spectacle où elle raconte sa vie en tant que princesse Caraboo (exit Mary Wilcocks). Elle vit alors à Londres et rencontre un admirateur, Richard Baker qui ne tarde pas à vouloir l’épouser. Mary a alors trente sept ans. Elle accepte et devient Mme Baker en septembre 1828. L’année suivante elle donne naissance à sa fille Mary Ann. Apparemment assagie, elle décide alors de s’occuper d’un métier sérieux et plutôt bien rémunéré à l’époque : l’élevage des sangsues qu’elle revend aux hôpitaux londoniens. Dans les années quarante, elle quitte Londres pour Bristol où elle continue de vendre des sangsues à l’hôpital de Bristol.

Elle fait une mauvaise chute le 24 décembre 1864 et meurt quelques jours plus tard à l’âge de 72 ans. Sa fille aura une fin de vie tragique : elle vivra du commerce de sa mère (les sangsues) dans une maison remplie de chats, et mourra à 71 ans dans l’incendie de sa maison.

Plaque installée sur la dernière demeure de la princesse Caraboo

Hollywood s’emparera de cette histoire avec un film sorti en 2004 : « Caraboo » et il y aura même une comédie musicale en 2016 à Londres.

Mary est enterrée au cimetière de Bristol sous une tombe sans nom ; une plaque portant son nom a été apposée sur le mur de sa dernière demeure, à Bristol, où elle passa les onze dernières années de sa vie.

Mais ne cherchez pas l’ile de Javasu, elle n’a jamais existé !

Sources :

 

  • « wikipedia
  • Oxford dictionary of National Biography

 

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