Zinaida Ivanovna Narychkina, princesse Youssoupoff, comtesse de Chauveau (1809-1893)

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Зинаида Ивановна Юсупова

Portrait vers 1829

fille d’honneur de la tsarine Alexandra Feodorovna (épouse de Nicolas 1er)

Née le 2 novembre 1809 à Moscou (Russie)
Morte le 16 octobre 1893 à Boulogne Billancourt (Hauts de Seine), France
Enterrée à l’ermitage Trinité de Serge, église Saint Serge de Radonezh

Zinaida Ivanovna Narychkina naquit le 2 novembre 1809 à Moscou. Son père était le chambellan Ivan Dimitrievich Narychkine (1776-1848), sa mère était Varvara Nikolaevna Ladomirskaya (1785-1840), (la fille illégitime du favori de l’impératrice Catherine II) Ivan Rimsky-Korsakov (1754-1831) et de la comtesse Ekaterina Stroganova (1754-1815) (née Ekaterina Petrovna Trubetskaya).

Varvara (Barbara) Ivanovna Ladomirsky, mère de Zinaida (portrait par Elisabeth Vigée Lebrun en 1800)

L’histoire des grand parents de Zinaida (Ivan et Ekaterina) mérite d’être racontée : Ivan Rimsky Korsakov était devenu le favori de l’impératrice Catherine II en 1778, il était si beau que l’impératrice l’avait rebaptisé « mon Pyrrhus » : de plus, il jouait du violon et chantait à la perfection.

Élu au rang de favori, le jeune homme (qui avait vingt cinq années de moins que l’impératrice Catherine II) fut pendant deux années le favori bien aimé de l’impératrice vieillissante : mais il devait succomber aux charmes d’une femme mariée, Ekaterina Trubetskaya qui était l’épouse du comte Stroganoff. Le malheur voulut que l’impératrice les surprenne tous les deux dans une situation compromettante : Ivan fut chassé de Saint Petersbourg et il partit se réfugier à Moscou. Contre toute attente, la comtesse Stroganoff suivit son amant à Moscou et abandonna son mari et ses trois enfants.

Les grands parents de Zinaida : Ivan Rimsky Korsakov ancien favori de Catherine II et Ekaterina Trubetskaya épouse du comte Stroganoff

L’époux délaissé (Alexandre Sergueievitch Stroganoff) avait une belle âme : il consentit à divorcer de Ekaterina, et donna à sa femme en cadeau de rupture le domaine de Bratsevo, près de Moscou, où les amants terribles vinrent abriter leur bonheur : Ivan et Ekaterina eurent quatre enfants illégitimes à qui on attribua le nom de Ladomirsky. L’un de ses enfants était Varvara (ou Barbara) qui allait devenir la mère de notre héroïne. Il existe un portrait de Varvara réalisé par le peintre français Elisabeth Vigée Lebrun, et qui rend avec bonheur la beauté de la mère de Zinaida.

En 1804, à l’âge de 19 ans, Varvara avait épousé Ivan Dimitrievich Narychkine : Zinaida était le premier enfant du couple : son frère Dimitri naîtra trois ans plus tard.

Les parents de Zinaida firent leur possible pour que Zinaida et son frère Dimitri reçoivent une excellente éducation à la maison. Zinaida se perfectionna dans la connaissance de la poésie et de l’art. Très tôt, la beauté de Zinaida lui permit d’obtenir une place de demoiselle d’honneur auprès de l’impératrice Alexandra Feodorovna (épouse du tsar Nicolas 1er).

La tsarine Alexandra Feodorovna (épouse de Nicolas 1er)

A l’âge de 17 ans, Zinaida participa avec ses parents aux célébrations du couronnement impérial de Nicolas 1er qui eurent lieu le 22 août 1826 à Moscou. Les festivités durèrent deux mois : Zinaida y rencontra lors d’un bal celui qui allait devenir son mari, Boris Nikolaievitch Youssoupoff, veuf depuis cinq ans de sa première épouse Prascovia Pavlovna Chtcherbatov (morte en couches), et de quinze ans plus âgé que Zinaida. Boris Youssoupoff était le fils unique de Nikolaï Borisovitch Youssoupoff (1751-1831) et de Tatiana Vassilievna Engelhardt (1769-1841) (une des nièces de Potemkine, encore un autre favori de l’impératrice Catherine II).

Tatiana Vassilievna Engelhardt, mère de Boris Youssoupoff (portrait par Elisabeth Vigée Lebrun en 1797

Tatiana avait élevé son fils unique à Saint Petersbourg et l’avait mis dans une pension française à la mode. Le jeune Boris était entré ensuite au ministère des Affaires étrangères, puis s’était marié avec Prascovia Pavlovna Chtcherbatov. A la mort de sa femme en 1820, il avait voyagé pendant deux ans dans toute l’Europe, et venait tout juste de rentrer de ce séjour pour assister aux célébrations du couronnement. C’est là qu’il remarqua la toute jeune Zinaida, et la beauté de la jeune fille retint son attention.

Or, dès le début du flirt, les parents de Zinaida ne se déclarèrent pas du tout en sa faveur : ils savaient que Boris Youssoupoff cherchait à se remarier : il lui fallait en effet une descendance.

Boris Youssoupoff, 1er mari de Zinaida

Mais les Youssoupoff avaient une mauvaise réputation (ils étaient soi disant victimes de la malédiction d’un sorcier qui avait condamné la dynastie à n’avoir qu’un héritier par génération ; si par hasard, le prince Youssoupoff et son épouse arrivaient à avoir plusieurs enfants, un seul survivrait et les autres mourraient avant l’âge de 27 ans : curieusement cette malédiction s’était avérée exacte au fil des années) ; de plus la propre mère de Boris ne se déclarait pas enchanté du choix de son fils lorsque ce dernier lui déclara qu’il souhaitait épouser la toute jeune Zinaida. Malgré sa richesse et son titre, Boris sentit que sa demande de mariage allait rencontrer des obstacles des deux côtés. Boris Youssoupoff n’eut alors d’autre choix que de se tourner vers l’empereur Nicolas 1er et de le mettre dans la confidence. L’empereur approuva son choix et l’impératrice qui était satisfaite de sa toute jeune demoiselle d’honneur donna aussi son aval.

Dès lors, on annonça les fiançailles du couple le 11 octobre 1826, mais la date du mariage fut reportée en raison de l’hostilité de la mère de Boris, Tatiana Vasilievna. Cette dernière trouvait que Zinaida était trop jeune (17 ans) et que son fils pouvait trouver mieux.

Portrait de Zinaida à l’époque de son mariage avec Boris Youssoupoff (1826)

A la fin de l’année 1826, Boris écrivit sa déception dans une lettre adressée à l’un de ses amis :
« en rentrant de Moscou, j’espérais que mon bonheur allait enfin se réaliser, lier ma vie à celle de Zinaida, mais maman, contre laquelle je n’oserai jamais aller, a demandé de reporter le mariage. Mon chagrin fut si grand à cause de ce retard que je faillis tomber malade

Enfin, la date du mariage fut fixée à Moscou pour le 19 janvier 1827.

Or le jour des noces, un série d’incidents va bouleverser la cérémonie : d’abord, le marié, dans son impatience se rend à l’église, mais s’aperçoit au dernier moment qu’il n’a pas la bénédiction de son père (Nikolaï Borisovitch Youssoupoff), il retourne alors au domicile de son père pour que celui ci le bénisse ; puis, revenu à l’église, et pendant la cérémonie, Zinaida, trop émue, laisse tomber l’anneau nuptial. Ce dernier malgré les recherches demeure introuvable ayant du se faufiler entre deux carreaux du sol de l’église. Boris confia donc à Zinaida l’une de ses bagues en guise de compensation. La cérémonie terminée, l’un des témoins du marié écrira :

un marié extraordinaire doit avoir des incidents extraordinaires. À l’église, la mariée était très gaie et le marié était pensif et fronçait les sourcils...

Zinaida devenait à l’âge de 17 ans la princesse Youssoupoff. Le jeune couple décida de résider à Saint Petersbourg, et bientôt Zinaida tomba enceinte. En mai 1827, elle écrivit à son frère Dimitri pour lui dire qu’elle s’ennuyait beaucoup.

Portrait de Zinaida par Christina Robertson

En effet, traumatisé par la mort de sa première épouse morte en couches, Boris avait interdit à sa jeune femme toute activité dangereuse (la danse, les promenades en carrosse) et avait littéralement enfermée Zinaida dans le palais qu’ils occupaient à Saint Petersbourg. Elle ne recevait que les visites familiales et Zinaida trompait son ennui en se jetant dans la poésie.

Le 12 octobre 1827 (neuf mois après le mariage) Zinaida donna naissance à son fils Nicolai. Deux ans plus tard, en 1829, elle donnera naissance à une fille, Anastasia, qui ne vivra que quelques jours. Le traumatisme de la mort de sa fille amènera le prince Youssoupoff à ne plus fréquenter la couche de sa femme. Il ne veut plus d’autres enfants.

Lui aussi pensait à la malédiction des Youssoupoff : son fils Nicolai sera donc un fils unique et il sera élevé en tant que tel. Quand à Zinaida, son mari lui appris de façon non équivoque qu’elle ne sera plus jamais mère.

L’empereur Nicolas 1er vers 1820

En entendant la sentence de son mari, Zinaida se rebella et retourna à la cour de Saint Petersbourg, où cette fois, le tsar Nicolas 1er la remarqua d’autant que ses deux maternités l’avaient épanouie. La jeune femme était devenue ravissante et on la décrivait ainsi :

Grande, mince, avec une taille charmante, et un visage altier, elle a de beaux yeux noirs, un visage très vif avec une expression gaie qui lui va merveilleusement bien

Le comte Vladimir Alexandrovitch Sollogoub, poète et écrivain russe, la décrivit comme «  jolie, gentille et affable ». Elle se distinguait «  par une grande bienveillance envers tout le monde et, en général, une douceur remarquable”.

La même année, son mari reçut du tsar l’ordre de saint Vladimir et Zinaida devint l’une des dames à la mode de la capitale Saint Petersbourg. Le tsar Nicolas 1er la conviait souvent elle et son mari à la cour, le tsar aimait les jolies femmes  et la comtesse Dolly de Ficquelmont (née Daria Feodorovna et épouse du comte von Ficquelmont, qui tiendra un journal de l’époque) écrivit à l’occasion d’un séjour à Saint Petersbourg : .

.. »la gentillesse immuable de l’empereur et le plaisir qu’il éprouve à fixer son regard sur un visage beau et sophistiqué, est la seule raison qui le pousse à témoigner son respect pour la princesse Youssoupoff…. »

A l’âge de 21 ans, Zinaida n’était pas décidée à abandonner sa vie de femme pour se plonger dans le célibat : sa beauté avait retenu l’attention du tsar, mais elle provoqua aussi bien des battements de coeur parmi les courtisans qui fréquentaient la cour du tsar ; l’un d’eux, Nikolaï Andreevich Gervais, un garde de la cavalerie russe va tomber amoureux d’elle en 1831.

Les fêtes du couronnement impérial de Nicolas 1er

Zinaida et Nikolaï Andreevich Gervais avaient le même âge (21 ans) et ils étaient fous amoureux l’un de l’autre. Dans les bals où ils se rencontraient ils n’essayaient même pas d’être discrets. De plus, ils se retrouvaient lors des séances de poésie dont ils étaient férus l’un et l’autre. La comtesse Dolly de Ficquelmont remarqua encore :

Non moins remarquable est le flirt trop prolongé et dévorant de la charmante princesse Yusupova avec Gervais, un officier du régiment de cavalerie. Elle est connue de tous, car elle est jeune d’esprit, tout en étant gaie, naïve, innocente. Avec une innocence étonnante, elle s’est abandonnée au pouvoir de ses sentiments. Elle ne semble pas voir le piège tendu devant elle et aux bals elle se comporte comme si dans le monde entier elle était seule avec Gervais. Il est très jeune, avec un visage peu attrayant, pour le moins insignifiant, mais très amoureux, constant dans ses sentiments et, peut-être, plus adroit qu’on ne le croit…..

Bientôt les langues se délièrent et quelqu’un finit par prévenir le mari de son infortune, et on commença à faire comprendre à Gervais que son assiduité auprès de la princesse pouvait porter préjudice à cette dernière.

Boris Youssoupov, 1er  mari de Zinaida

Dolly de Ficquelmont écrivit dans son journal :

« Le halo de gaieté qui entourait le beau et si jeune visage de la princesse a soudainement disparu. J’ai bien peur que la raison en soit Gervais ».

En effet, pour sauver Zinaida des commérages malveillants, Gervais décida de quitter Saint Petersbourg : dévasté, il mourra dix ans plus tard lors d’une expédition en Tchétchénie.

En 1831, le mari de Zinaida hérita de l’énorme fortune de son père qui venait de décéder. Il prit possession du domaine d’Arkhangelskoie et organisa lui même le vaste domaine de son père.  Pendant le choléra, il n’hésita pas à venir et sans crainte d’infection, il ouvrit un hôpital, fournit des médicaments et des médecins. En 1834 et 1835, lorsque le seigle fut vendu huit fois plus que son prix habituel, il nourrit jusqu’à 70 000 personnes sur ses domaines répartis dans 17 provinces sans recourir aux avantages du gouvernement. Sa femme le suivit dans ses domaines et tint son rôle auprès de son mari. 

Le domaine d’Arkhangelskoie près de Moscou

En 1834, un drame va frapper Zinaida à l’âge de 25 ans : à l’automne de cette année là, sa voiture se renversa dans un fossé, et la jeune femme eut la jambe brisée. Mal soignée par les médecins, elle gardera à vie une boiterie qui l’empêchera de vivre sa passion de la danse. Elle continuera à fréquenter les bals de la cour, mais elle dut rester assise sur un siège et regarder les autres danser.  En 1839, le mari de Zinaida fut promu maréchal de la noblesse de Tsarskoie Selo. Ses contemporains le décrivaient ainsi :

« …le prince Youssoupoff a un esprit limité, il est pourvu d’une arrogance immense et il est intouchable de par sa richesse illimitée : il a pour habitude d’exprimer ses pensées ouvertement, même devant l’empereur, sans aucun filtre, et il a au fil des années accaparé les rancunes de ses interlocuteurs qui ne lui pardonnent pas son franc parler.

Dix ans plus tard,en 1849, Boris Youssoupoff mourut à l’âge de 55 ans : Zinaida se retrouva veuve à l’âge de 40 ans. A part l’épisode de son aventure avec Gervais, la princesse Youssoupoff était demeurée relativement sage et discrète dans ses liaisons : la mort de son mari allait la libérer. Elle ouvrit sa maison à ses prétendants, presque aussitôt après la mort de son mari.

Palais Youssoupoff sur la Moika

Amoureuse du néo-baroque, elle se jeta dans la rénovation des intérieurs du palais de la Moïka à Saint Petersbourg, dans un style complexe, et elle lança la construction de bâtiments tels que la Maison Liteiny à Saint-Pétersbourg et la Yusupovskaya Dacha à Tsarskoïe Selo. Ses appartements intérieurs étaient décorés de meubles imitant la chambre de la reine Marie Antoinette à Versailles. En 1856 son fils unique se maria : Zinaida décida d’abandonner au jeune ménage la maison de la Moïka à Saint Petersbourg pour s’installer rue Liteinaïa dans une maison qu’elle avait fait construire sur le modèle de celle de la Moïka.

Portrait de Zinaida vers 1840 par Robertson

Au fil des années, son comportement trop libre irrita l’empereur Alexandre II (fils de Nicolas 1er) et la princesse Youssoupoff se querella avec le tsar. 

Zinaida, qui était devenue veuve, riche et libre d’elle même, décida alors de se lancer dans un grand voyage en Europe, voyage que son mari lui avait toujours refusé et qu’il avait pourtant exécuté au temps de sa jeunesse.

En l’espace de quelques semaines, la princesse Youssoupoff prépara son voyage pour la France de Napoléon III où elle arriva au début de l’été 1860. Elle acheta une parcelle au n° 2 boulevard Victor Hugo à Boulogne et fit construire un hôtel particulier par Antoine Martin Garnaud, hôtel qui existe toujours et qui est devenu une école (le cours Dupanloup). La princesse Youssoupoff fut bientôt invitée dans les salons parisiens grâce à l’influence de la princesse Mathilde Bonaparte mariée à un russe, le comte Anatole Nikolaïevitch Demidoff.

La princesse Mathilde Bonaparte princesse Demidoff par Eugene Giraud en 1861

Lors d’un bal à l’Élysée, elle rencontra un jeune capitaine d’état major général de la Garde Nationale de la Seine : il s’appelait Louis Charles Honoré Chauveau et était de vingt ans son cadet. Familier de Napoléon III, Charles Chauveau avait de la prestance et portait avec panache l’uniforme des Gardes Nationaux. A la stupéfaction de tous, la princesse russe tomba éperdument amoureuse du jeune Chauveau si bien qu’elle décida de l’épouser. Mais pour être reçu en Russie, il fallait un titre de fonction bien réel et Chauveau n’en avait pas. Charles Chauveau qui résidait à Neuilly sur Seine, décida de se présenter comme Conseiller général du Finistère (alors même qu’il était curieusement originaire de la Champagne).

Aux élections de 1860, par 1 435 suffrages sur 1 914 inscrits, Louis Charles Chauveau fut élu au canton de Concarneau comme conseiller général du Finistère, département qu’il ne connaissait mais où il avait « l’intention de prendre racine ».

Louis Charles Chauveau, 2ème époux de Zinaida (portrait en 1879)

En attendant, Zinaida impatiente d’officialiser sa liaison, emmena le jeune Charles en Russie où leur union fut officialisée le 7 mai 1861, dans la chapelle du palais Youssoupoff à Saint Petersbourg. On s’étonna beaucoup à Saint Petersbourg de cette mésalliance : en effet, Charles Chauveau était roturier, et son père avait exercé le métier d’administrateur des pompes funèbres, ce qui n’avait rien de reluisant.

De plus, la mariée avait 52 ans, et le marié 32 ans. 

Tout de suite après le mariage, les jeunes mariés partirent en lune de miel en Suisse. Revenus en France, le couple décida de prospecter dans la région de Concarneau afin de trouver une demeure à l’époux de Zinaida pour compléter son statut de conseiller général du Finistère. Zinaida commença à explorer la région : elle tomba en extase devant le domaine de Keriolet sur les hauteurs de Concarneau et l’acheta en 1862. Grâce au goût de Zinaida Ivanovna, le château austère fut peu à peu transformé en un palais luxueux rempli de beaux meubles et d’œuvres d’art.

La princesse dépensa 1,5 million de francs or et prit comme architecte Joseph Bigot : les travaux allaient durer de 1863 à 1883.

Le chateau de Keriolet

Une des fantaisies de la princesse fut d’installer le chauffage au sol dans la chambre de son mari, dans la sienne, et dans la chambre du roi (chambre que tout château français devait laisser à l’usage du souverain dans le cas où celui ci se présenterait au château : inutile de préciser que celle du château de Keriolet, richement ornée, ne fut jamais utilisée). Sur le sommet du toit du château, l’architecte installa une statue d’un ours (assis) regardant vers l’Est, vers la Russie, pays natal de Zinaida.

Zinaida par Franz Walter Winterhalter en 1858

Puis, Zinaida acheta le titre de comte de Chauveau et de marquis de Serre pour son mari. Et le couple s’installa au château de Keriolet, où ils reçurent avec faste les représentants de la noblesse locale. Son mari continua à appeler sa femme « princesse » et il lui fut fidèle les vingt premières années.

Puis vers 1882, Charles de Chauveau entama à la vue de tout le monde une liaison avec la cuisinière du château, Bathilde Ducos, âgée d’une trentaine d’années : celle ci devait donner naissance aux deux enfants naturels du comte : Yves (né en 1883) et Anne Marie (née en 1885).

Il semble que Zinaida fut parfaitement au courant de la liaison de son mari, et qu’elle pardonna les incartades de ce mari qui était plus jeune qu’elle de vingt ans. Et puis, les amours ancillaires ne la dérangeaient en rien. En tant que princesse russe, elle n’allait pas s’abaisser à être jalouse d’une domestique bretonne.

Le chateau de Keriolet (la salle des gardes)

En 1889, le mari de Zinaida mourut soudainement à l’âge de 60 ans d’une crise cardiaque, et ce fut un choc pour Zinaida qui se retrouva veuve une seconde fois à l’âge de 80 ans. Le corps du comte de Chauveau fut enterré dans le cimetière de la commune avoisinant le château (à Beuzec-Conq dont il fut le maire) dans un très beau mausolée où il sera enterré avec ses parents, ses frères et ses sœurs.

Juste avant de quitter la Bretagne pour Paris, en 1892, la princesse Youssoupoff s’inquiéta du repos éternel de son époux bien aimé : elle acheta dans la commune de Beuzec Conq un terrain où elle fit construire une école pour jeunes filles dont l’administration fut confiée à des religieuses : ces dernières s’engagèrent à assurer l’entretien du caveau du comte : une bougie devait rester allumée tous les jours et une prière dite pour le repos de l’âme du défunt : les religieuses s’acquittèrent de cette tache en faveur de leur bienfaitrice jusqu’en 1945, date de leur départ de la commune.

Avant de partir, Zinaida légua le château de Keriolet et toute les richesses qu’il contenait au Département du Finistère charge pour ce dernier d’en faire un Musée ouvert à la visite.
Puis Zinaida revint dans son hôtel de Boulogne.

Zinaida dans les années 1870

Son arrière petit fils, Felix Youssoupoff, âgé alors de six ans, lui rendit visite à Paris ; il racontera dans ses Mémoires :

………… »j’ai eu, dans mon enfance, la chance assez rare de connaître une de mes arrières grand-mère, Zinaida Ivanovna, princesse Youssoupoff, devenue par son second mariage comtesse de Chauveau. Je n’avais que dix ans lorsqu’elle mourut mais son souvenir est resté gravé dans ma mémoire : sa merveilleuse beauté avait fait l’admiration de tous ses contemporains. Elle avait mené une vie fort gaie et connu de nombreuses aventures. Longtemps après sa mort, comme je classais ses papiers, je trouvai, parmi toute une correspondance signée des plus grands noms de l’époque, des lettres de l’empereur Nicolas 1er qui ne laissaient aucun doute sur le caractère de leur intimité. Deux ou trois ans plus tard, s’étant querellée avec l’Empereur, elle partit pour l’étranger. Elle s’installa à Paris, dans un hôtel qu’elle avait acheté au Parc des Princes. Tout le Paris du Second Empire défila chez elle, et Napoléon III ne fut pas insensible à ses charmes et il lui fit des avances qui restèrent sans écho. C’est lors d’un bal qu’elle tomba amoureuse d’un jeune officier français de bonne mine mais de petite fortune. Elle l’épousa et le nantit d’un titre de comte. Nous lui rendions visite chaque année, elle vivait seule avec une dame de compagnie dans son hôtel du Parc des Princes : nous logions dans un pavillon relié à l’hôtel par un souterrain et n’allions chez elle que le soir. Je la revois, trônant dans un grand fauteuil dont le dossier était orné de trois couronnes : une de prince, une de marquis et une de comte. Malgré son age avancé, elle était encore belle et avait conservé toute la majesté de son allure et la noblesse de son maintien. Toujours fardée et parfumée, elle portait une perruque rousse et se paraît d’un nombre imposant de colliers de perles. Elle se révélait, dans certains détails d’une singulière avarice. C’est ainsi qu’elle nous offrait des chocolats moisis qu’elle conservait dans une bonbonnière en cristal de roche incrustée de pierreries. J’étais seul à y faire honneur et je crois bien que de là venait la préférence qu’elle me marquait. En me voyant accepter ce que tous les autres refusaient, Bonne Maman me caressait avec affection en disant : « cet enfant me plaît »…

Nicolas Borissovitch Youssoupoff (fils de Zinaida) en 1868

Au début de l’année 1893, Zinaida éprouva le désir de revenir sur sa terre natale en Russie. Le tsar lui envoya une autorisation et elle s’apprêtait à faire ses bagages quand la mort la saisit. Elle mourut à Paris le 16 octobre 1890 dans son palais du Parc des Princes.

Selon sa volonté, son corps fut transporté en Russie et enterré dans l’ermitage Trinity-Sergius sur la route de Peterhof, dans la limite inférieure de l’église Saint-Serge de Radonezh. Felix Youssoupoff, son arrière petit fils qui était venu lui rendre visite, est célèbre pour avoir organiser l’assassinat de Raspoutine : c’est lui qui, le 16 décembre 1917 tua le conseiller occulte et haï de l’impératrice Alexandra et du tsar Nicolas II.

Il avait épousé une nièce de Nicolas II, Irina Romanoff, et héritera des biens colossaux de la famille Youssoupoff. La révolution russe le contraindra à l’exil : il ira passer quelques années au château de Keriolet (qu’il récupérera au prix d’un long procès avec le Département) mais bien vite ce château ne lui plut pas.

Le prince Felix Youssoupoff et son épouse Irina

Harcelé par les créanciers, le prince Felix vendra au gré de ses dettes les riches collections qu’avait laissé Zinaida (les 43 hectares du parc furent réduit à 2,5 hectares lorsque le prince Felix commença à dilapider les terres) : il mourra, ruiné, à Paris en septembre 1967.

Le château de Keriolet se visite depuis une vingtaine d’années et on retrouve quelques objets chères à la princesse Zinaida : notamment dans la salle de bal, elle se fit aménager une « niche » à l’étage, où assise, elle assistait aux bals donnés en contrebas dans la salle à cet effet, et où elle pouvait voir tourbillonner son époux, le beau Charles, aux bras des aristocrates de la région. Sa boiterie l’empêchait de danser depuis bien longtemps maintenant, mais on peut l’imaginer avec un lorgnon jeter un œil attentif aux mouvements des danseurs.

Zinaida Youssoupova comtesse Sumarokov (petite fille de Zinaida)

Elle laissa à sa mort tous ses bijoux à sa petite fille Zinaida comtesse Sumarokov (la mère de Felix Youssoupoff) : à celui ci elle laissa ses maisons de Saint Petersbourg et de Moscou et l’hôtel du Parc des Princes au frère aîné de Felix, Nicolas, qui n’en profitera guère puisqu’il mourra en duel à l’âge de 25 ans (tué par un mari jaloux), laissant son cadet, le prince Felix unique héritier de la colossale fortune de Zinaida, qu’il mangera jusqu’au dernier sou.

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