Tseu Hi, impératrice de Chine (1835-1908)

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tseuhi
Née le 29 novembre 1835 à Pékin
Morte le 15 novembre 1908 à Pékin
Inhumée à 125 km de Pékin (Eastern Qing Tombs)

Nous sommes le 15 novembre 1908, et dans une pièce obscure de la Cité Interdite de Pékin, une vieille femme de soixante treize ans agonise. Son souffle s’amenuise peu à peu, et les ombres qui l’entourent se tiennent à distance respectueuse : il y a là ses médecins désormais impuissants, des ministres, des eunuques et des membres de la famille impériale. Soudain, l’entrée d’un petit groupe fait se figer l’assistance, qui bientôt se prosterne au fur et à mesure que progresse vers le lit de la mourante, Pu-Yi, le futur Empereur de Chine.

 C’est un moment émouvant, car la vieille femme se redresse lentement et lorsque l’Empereur s’arrête à son chevet, elle plonge son regard dans celui de son successeur, et ne peut retenir une lueur de détresse, car le nouvel Empereur, qui lui fait face, n’a que deux ans et demi. C’est elle-même qui l’a nommé il y a quelques jours, dans le secret espoir de conserver le pouvoir de longues années encore.

Mais la mort a contrarié sa dernière manigance, et dans l’heure qui suit, l’impératrice Tseu Hi rend son dernier soupir, après quarante sept ans de régence du Céleste Empire (nom que les chinois donnent à la Chine), laissant celui-ci à un bambin qui le conduira à sa ruine.

 Qui était cette femme surnommée affectueusement le « Vieux Bouddha » par son peuple, et comment a-t-elle pu régner si longtemps (quarante sept ans !), sur un empire peuplé de millions de sujets ?

 Tseu Hi, de son vrai nom « Yéonala » était née dans une famille mandchoue, en 1835, au cœur de la ville tartare de Pékin. Belle, intelligente, elle était destinée à épouser le capitaine des Gardes de l’Empereur, Jung Lu, à l’âge de dix sept ans. Les jeunes gens se connaissaient et s’appréciaient mutuellement mais le destin allait en décider autrement : en 1852, l’empereur Hien Fong succéda à son père l’empereur Tao Kouang, et se mit en quête d’une épouse et de concubines parmi les jeunes filles de la noblesse mandchoue (ce sont les Ching, dynastie mandchoue qui règne alors en Chine depuis plus de deux cent ans).

Soixante jeunes filles pénétrèrent quelques jours plus tard dans la salle du Trône du Dragon, à l’intérieur de la Cité Interdite de Pékin : parmi elles, figurait la jeune Yéonala. L’invitation impériale scellée de jaune, que ses parents avaient reçu, ne tolérait aucun refus : un ordre du Fils du Ciel (qui désignait l’Empereur) était alors un ordre des Dieux eux-mêmes.

tseu hiL’impératrice Tseu Hi en 1903

 Alignées les unes derrière les autres, les yeux obstinément baissées, les jeunes filles n’avançaient qu’à l’appel de leur nom, et se prosternaient devant le trône impérial, avec interdiction de lever les yeux vers leur futur époux. De l’Empereur, elles ne virent que deux sandales jaunes, et chacune savait que le regarder eut été une faute grave.

 Une seule question les tourmentait : qui allait être choisie pour être l’épouse ? Le soir même, le verdict tombait : l’une des cousines de Yéonala, Sakota, devenait l’épouse de l’empereur, tandis que Yéonala elle-même devenait la cinquième concubine de l’Empereur (le rang le plus bas).

 Yéonala fut elle déçue ? la jeune fille savait qu’une concubine pouvait ne jamais entrer dans la couche de l’Empereur, et elle se refusait à vieillir enfermée dans la Cité Interdite, sans mari, sans enfants, et sans avenir.

 Pendant les premiers mois de son séjour dans la Cité Interdite, Yéonala s’attacha les services d’un eunuque du nom de Li Lien Ying, en lui faisant miroiter des cadeaux fabuleux s’il l’aidait à approcher l’Empereur, qui ne l’avait toujours pas convoqué, l’Empereur se consacrant entièrement aux charmes de son épouse, Sakota. Ayant deviné l’ambition de Yéonala, Li Lien Ying, qui parvenait à approcher l’Empereur régulièrement, lui vanta un jour les charmes de sa concubine oubliée.

La nuit suivante, l’Empereur faisait demander la jeune femme dans son lit. Grande fut la déception de Yéonala en rencontrant enfin celui qui désormais tenait son destin entre ses mains : à vingt et un ans, précocement vieilli par les abus de la chair et de l’opium, l’Empereur était un être sans charme, au visage triste, et au corps malingre. L’esprit de Yéonala, aussi bien que son corps, réussit à capter l’attention de Hien Fong, et quelques semaines après leur rencontre, la faveur de Yéonala devint éclatante.

 L’orgueil de la jeune femme ne connut plus de bornes lorsqu’elle apprit qu’elle était enceinte, et le 27 avril 1856, elle donna le jour à l’héritier du trône, Zaichun, alors que de son côté, Sakota, accouchait d’une petite fille (cette dernière ne parviendra d’ailleurs jamais à donner un fils à l’empereur).

 Une semaine après l’accouchement, Yéonala était nommée Impératrice du Palais d’Occident, et quittait son nom de Yéoala, pour celui de Tseu Hi, nom sous lequel elle sera connu : (elle quittait sa position de concubine pour se situer juste derrière l’épouse de l’Empereur, Sakota, qui quittait elle aussi son nom, pour celui définitif de Ci’an.

 Forte de son nouveau statut d’épouse, Tseu Hi entreprit de compléter ses connaissances, et obtint des professeurs qui lui enseignèrent les rudiments du pouvoir.

 La situation de la Chine n’était pas brillante, et Tseu Hi en conçut une haine implacable envers les « Diables Etrangers », ces européens qui ne cherchaient qu’à asservir l’Empire du Milieu : les relations entre les européens et les chinois étaient volatiles, et en dépit de traités de commerce, ceux-ci étaient souvent bafoués. De plus, les européens avaient apportés avec eux en Chine, de nombreux missionnaires catholiques, qui tentaient de convertir la population chinoise.

 Exaspérés par cette atteinte à leur croyance religieuse, les chinois se mirent peu à peu à assassiner les missionnaires étrangers, accompagnés par une indulgence du gouvernement chinois, qui laissait faire en toute impunité. Ce fut alors au tour des européens d’être agacés, et un corps de troupe fut expédié à Tien Tsin le 1er aout 1860. Ce premier pas belliqueux fut accompagné d’un envoi de parlementaires à Pékin pour demander à l’Empereur de respecter les traités, et de châtier sévèrement les auteurs des meurtres des prêtres catholiques.

 Tseu Hi, forte du pouvoir impérial, fit arrêter ces porte paroles, les tortura, puis les décapita. C’était une grave erreur : en septembre de la même année, une armée franco-anglaise marcha sur Pékin. Il fallut alors que le Fils du Ciel déguerpit comme un vulgaire mortel devant la menace, et toute la cour impériale se réfugia à Jehol. Là, Tseu Hi apprit que son palais préféré, le Palais d’Eté, avait été pillé et incendié en représailles, sur ordre des européens.

 Ce fut une triste période pour Tseu Hi : en exil à Jehol, elle était alors en semi disgrâce : l’Empereur, de santé chancelante, se mourait, et les princes impériaux complotaient contre Tseu Hi, mécontents de son influence.

tseuhi1890Tseu Hi en 1890

 La nuit où l’Empereur rendit son dernier souffle, Tseu Hi réussit à s’emparer du Grand Sceau Impérial, avec l’aide de l’eunuque Li Lien Ying. Désormais, rien ne l’arrêtera sur le chemin du trône. De retour à Pékin, après le retrait des troupes étrangères, et tout en rapatriant le corps de l’Empereur, elle accorda aux princes impériaux qui lui étaient hostiles, la permission de se suicider en leur fournissant des lacets de soie…

 Bien sûr, elle récompensa ses alliés : l’eunuque Li Lien Ying devint chef des Eunuques, et son ancien fiancé, Jung Lu, passera du statut de capitaine des Gardes à celui de Grand Conseiller. On murmure que c’est à cette époque que son ancien fiancé devint son amant, comblant ainsi tous ses rêves d’amour et de gloire.

 Le couple ne fut pas très discret, et pour faire taire les commérages de la cour, Tseu Hi maria, à contrecoeur, son amant à l’une des ses plus fidèles servantes.

 La vie s’écoula alors paisiblement pour l’impératrice douairière, jusqu’à ce jour de 1875, où son unique fils (et héritier du trône) mourut des suites de la variole à l’âge de dix neuf ans. Digne héritier de son père, son fils courrait les prostituées et les fumeries d’opium, et avait ainsi ruiné prématurément sa santé. Tseu Hi adopta aussitôt comme futur héritier, son neveu de quatre ans, Kouang Sou (désigné comme futur Empereur), et conserva les rênes du pouvoir en prolongeant la Régence.

 Comme lors du règne de son fils, Tseu Hi conservera le pouvoir : c’est l’Empereur qui promulgue les décrets mais la décision véritable revient en fait à la toute-puissante impératrice douairière. Cette pratique est appelée par ses contemporains « régner derrière le rideau », expression à prendre au sens littéral.

 Tseu Hi a en effet installé dans la salle du trône une tenture suffisamment transparente pour qu’elle voie le dos de l’Empereur et les gens, mais suffisamment opaque pour que les autres ne la voient pas. Assise derrière le trône impérial, elle tire les ficelles de l’Empire, ce qui constitue une situation sans précédent dans l’histoire chinoise. Le « fils du ciel » est réduit au rôle de figurant.

 Les relations avec les puissances européennes ne sont toujours pas au beau fixe, mais peu à peu, un quartier des Légations étrangères se constitue à Pékin, tout près de l’enceinte de la Cité Interdite. La France, la Grande Bretagne, le Japon, et d’autres pays y ont leur ambassade.

220px-《咸丰皇帝朝服像》L’empereur Hien Fong (1831-1861) dont Tseu Hi fut la cinquième concubine

 Parvenue à la cinquantaine, Tseu Hi connut alors l’une de ses plus grandes désillusions : son favori Jung Lu, son ancien fiancé, à qui elle avait accordé son amour et sa confiance, se mit à la tromper avec l’une des concubines de son neveu Kouang Sou, alors héritier potentiel du trône. Cruellement blessée dans son orgueil de femme, elle exila le conseiller Jung Lu, et fit jeter sa rivale au fond d’un puit.

 Désormais, sa soif d’amour la jeta dans une débauche éhontée : de jeunes étudiants étaient amenés la nuit au palais. Ceux qui reconnaissaient l’impératrice étaient immédiatement exécutés. Sa soif de débauche allait de pair avec sa haine des étrangers.

 En juin 1900, poussée par le prince Tuan, chef d’une secte fanatique, les « Boxers » elle invita ces derniers, ainsi que ses sujets à « massacrer tous les étrangers, à manger leur chair, et à dormir sur leur peau ».

 Le 13 juin, commença ce qu’on appela les « 55 jours de Pékin » : des fanatiques chinois brûlèrent vifs deux mille femmes et enfants dans la cathédrale de Pékin. Tseu Hi refusa de recevoir les ambassadeurs étrangers, alarmés, les laissant ainsi que tous leurs proches à la fureur des Boxers. Les assiégés se défendirent avec courage, en plein été, alors que l’eau et les vivres commençaient à manquer dans Pékin.

55joursLes 55 jours de Pékin qui opposera les fanatiques chinois (les Boxers) aux Occidentaux encerclés dans le quartier des Légations à Pékin

Préférant tenir que subir la torture, les européens attendaient les renforts avec impatience. Ils arrivèrent par les égouts de la ville, le 14 août, libérant le quartier des Légations qui était assiégé. La femme de l’ambassadeur d’Angleterre, lady MacDonald, mit sa plus belle robe pour accueillir le général américain libérateur, Gaselee, et lui tendit sa main à baiser, en lui murmurant d’un flegme tout britannique : « général, comme c’est bien à vous d’être venu ! ».

 Le siège avait duré deux mois, et avait mis face à face le géant chinois contre cinq cent européens. Face à cette nouvelle défaite, Tseu Hi parvint à s’enfuir de Pékin, déguisée en paysanne, pour se réfugier à Sianfu avec son neveu Kouang Sou. Avant la fin de l’année, les puissances européennes présentaient un protocole de paix en douze articles, accentuant la tutelle étrangère de la Chine : le 7 septembre 1901, un traité de paix fut signé.

 Ce n’est que le 3 janvier 1902 que Tseu Hi regagna sa capitale en chemin de fer, elle qui abhorrait tout modernisme, montrant ainsi qu’elle acceptait la défaite.

 A son retour, elle offrit un thé aux femmes des ambassadeurs qui avaient tant souffert du siège de Pékin : « sur l’invitation du maître de cérémonie, les dames commencèrent à défiler sur l’estrade ; elles montaient par l’escalier de gauche et redescendaient par celui de droite ; elles saluaient d’abord l’empereur Kouang Sou qui leur tendait les doigts : puis elles passaient devant le trône de l’impératrice : chaque fois, Sa Majesté Tseu Hi se soulevait sur les coussins de soie. Elle serrait la main des ambassadrices et, en souvenir, leur remettait une bague ornée de perles…. »

220px-《载湉读书像》Kouang Sou (1871-1908) (neveu de Tseu Hi) et son héritier après la mort de son fils

Tseu Hi venait enfin de comprendre que la Chine traditionnelle était morte, et que pour vaincre les étrangers, la Chine se devait d’être moderne et ouverte aux idées neuves.

 Le 13 novembre 1908, l’empereur fantoche Kouang Sou meurt : la veille, Tseu Hi a adopté le petit fils de l’homme tant aimé, Jung Lu, (mort quelques années plus tôt en exil), le jeune Pu Yi.

 Au soir de sa vie, en s’embarquant pour le long voyage aux Sources Jaunes (le jaune étant alors la couleur impériale), Tseu Hi en contemplant son successeur, âgé seulement de deux ans, comprend que la dynastie est perdue.

 L’avenir lui donnera raison, la Chine basculera vers une longue Révolution, menée par Mao, qui n’épargnera pas Pu Yi, le dernier empereur de Chine.

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