Portrait par Thomas Stewart en 1792
Né à Tonnerre (Yonne) le 5 octobre 1728
Mort à Londres le 21 mai 1810
Enterré dans le cimetière de Saint Pancras à Londres
Charles Geneviève Louis Auguste André Timothée d’Eon de Beaumont naquit à Tonnerre à l’hôtel d’Uzès le 5 octobre 1728 : son père, Louis d’Eon de Beaumont, avocat à Paris avait fait fortune dans le commerce du vin et sa mère, Françoise de Charanton était fille d’un commissaire général des guerres d’Espagne. Il était le dernier enfant du couple : une sœur ainée le précédait, Marguerite Françoise Victor et un frère, Théodore André, né et mort l’année d’avant sa naissance.
On notera que ses parents avaient donné le prénom masculin de « Victor » à leur fille ainée et de « Geneviève » à leur dernier fils, ce dont ce dernier usera et abusera quelques années plus tard. Deux ans après sa naissance, le père de Charles est élu maire de Tonnerre : le jeune homme a sa destinée toute tracée : il sera avocat comme son père.
Adolescent, il quitte le collège de Tonnerre pour monter à Paris où il devient élève au collège Mazarin. Hébergé chez son oncle, il obtient un diplôme en droit civil et en droit canon en 1749 à 21 ans. Il a appris avec succès le latin et les mathématiques et se lance dans l’écriture.
Hôtel d’Uzès à Tonnerre (Yonne)
Il s’inscrit comme avocat au parlement de Paris et il comble ses loisirs en développant ses talents dans le domaine de l’escrime et de l’équitation. Le jeune homme possède un physique fluet, de beaux cheveux blonds, et il a la chance d’être imberbe. Il possède aussi un certain talent dans l’écriture et il publie « Considérations politiques et historiques » en 1753 qui obtient un certain succès auprès des nobles de cour. Il rencontre Mme du Deffand et Horace Walpole dans les salons parisiens.
Dans ses mémoires (inachevées) qu’il rédigera à la fin de sa vie, il racontera avec humour comment il réussit à duper son monde la première fois qu’il se déguisa en femme. Il était alors l’amant de la jolie Marie Françoise de Brancas veuve du comte de Rochefort, qui semble t’il, le dépucela à l’âge de vingt-sept ans. Auparavant, il expliquera dans ses mémoires que ses « sens ne s’étaient jamais éveillés ».
Louis Jules Mancini Mazarini duc de Nivernais (Portrait par Rémy-Furcy Descarsin en 1786)
En 1755, il est invité à un bal costumé chez Louis Jules Mancini Mazarini duc de Nivernais (qui fera de Mme de Rochefort sa seconde épouse), et encouragé par ses compagnons, il décide de s’y rendre habillé en femme (Mme de Rochefort lui prête l’une de ses robes). Poudré, maquillé, corseté, le jeune Charles d’Eon se rend à l’hôtel de Nevers et fait rapidement sensation. Or, parmi les invités du duc, figurent le roi Louis XV et sa favorite Mme de Pompadour.
Le roi est un homme qui s’ennuie mortellement au quotidien, et la perspective d’un bal a émoustillé cet homme déjà blasé. La foule des dames et des masques retient un temps son attention, jusqu’à ce qu’il concentre son regard sur une jolie blonde qu’il ne connait pas. Discrètement, il demande à son valet Le Bel de transmettre un message à la jeune femme, dans l’optique d’un rendez-vous galant dans l’un des salons voisins.
Le valet s’exécute, se renseigne sur l’identité de l’inconnue, et aborde le cavalier de celle-ci (qui est l’un des compagnons de Charles d’Eon et qui y voit là l’opportunité de jouer une farce au jeune Charles) : il affirme à Le Bel que la jolie blonde est sa cousine, et qu’il n’aura aucune difficulté à la mener secrètement dans un des salons.
Aussitôt il s’empresse de dire à d’Eon qu’une dame l’attend dans l’un des salons voisins. D’Eon, intrigué, se rend seul dans le salon particulier, et est rejoint à la minute par le roi, qui va droit au but et se montre tout de suite très entreprenant. Confus, embarrassé, d’Eon ne sait comment se tirer de ce mauvais pas. Il trébuche sur une chaise et chute dans le canapé : or, dans sa chute le roi entrevoit l’entrejambe de la jeune femme, et ne sait plus que penser. Le jeune homme se confond en excuses, mais le roi décide de prendre le parti d’en rire, puis avec un air sérieux, il convie le jeune homme à se rendre à Versailles dans les jours qui viennent.
A la fin du bal, les amis d’Eon le questionnent, l’interrogent et veulent savoir l’issue de l’entrevue avec le roi, mais le jeune homme ne dévoile rien.
Quelques jours plus tard, le jeune d’Eon se rend à Versailles, où il est reçu par le roi et la marquise de Pompadour, dans un petit boudoir dans les appartements privés de la favorite. Il y a aussi un troisième homme à cet entretien qui n’est autre que le prince de Conti, chargé du cabinet noir de Louis XV, le fameux « Secret du Roi », qui mène une politique en parallèle des conseils officiels. Le roi va tirer partie de la mystification dont il a été la victime. Si d’Eon le désire, il va servir la politique secrète du roi, et sa première mission sera de se rendre en Russie pour prendre contact avec l’impératrice Elisabeth afin de renouer l’alliance franco-russe, et ce à l’insu des ministres de la tsarine qui prône l’alliance avec l’Angleterre et la Prusse, ennemis de la France.
D’Eon accepte, et se rend sous l’identité de Lia de Beaumont à Saint Petersbourg où l’ambassade de France l’accueille. D’Éon ajoute qu’il partit avec deux malles, l’une remplie de ses vêtements habituels, et l’autre de ses atours féminins. Arrivé à Saint Pétersbourg, il aurait été dans l’obligation de révéler à l’ambassadeur le double rôle qui l’attendait. « Jamais la postérité ne pourra croire de tels faits, si vous et moi n’avions pas toutes les pièces nécessaires pour les constater et de plus incroyables encore »
Il arrive à prendre contact avec la tsarine (âgée de quarante-sept ans), et obtient avec elle une entrevue particulière. Lors de cet entretien, le jeune homme révèle son identité, la tsarine, d’abord stupéfaite est charmée par le naturel du jeune homme, et grande consommatrice d’hommes, l’entretien se termine dans le lit de la tsarine.
Elisabeth 1ère impératrice de Russie
Le lendemain, celle-ci nomme Lia de Beaumont sa lectrice particulière, et le jeune d’Eon rejoint, sous ses habits de femme, la tsarine tous les soirs dans son antichambre. Au bout de quelques semaines, le jeune homme doit repartir à Versailles (toujours vêtu en femme), et son retour dans le cabinet du roi est un triomphe. Il ramène des lettres privées de la tsarine qui s’engage à signer un traité d’alliance. Le roi,ravi, offre à d’Eon une pension de trois mille livres et une tabatière en or.
Charles d’Eon repart cette fois encore à Saint Petersbourg, mais comme secrétaire d’ambassade sous sa vraie identité : sur place, il parle beaucoup de sa sœur, Lia de Beaumont, demeurée en France et qui a, l’année précédente, accumulée les admirateurs russes.
Jamais on a vu un frère ressembler autant à sa sœur et pour cause ! de 1758 à 1760 il réside à Saint Petersbourg, puis il doit de nouveau rentrer en France où Louis XV le nomme capitaine de Dragons. En 1762, l’impératrice Elisabeth de Russie meurt, et toute la politique de rapprochement avec la France s’écroule : le neveu d’Elisabeth, Pierre III de Russie (époux de la future Catherine II), se détache de l’influence française.
Reprenant sa vraie identité, le chevalier d’Eon va participer aux dernières campagnes de la guerre de Sept ans, mais il quitte l’armée en 1762 pour se consacrer entièrement, à trente-quatre ans, à l’espionnage.
le roi George III roi d’Angleterre
En effet, le prince de Conti souhaite exploiter le don peu commun du jeune d’Eon : il s’agit cette fois d’aller à Londres, en tant que secrétaire de l’ambassade de France, pour conclure la paix générale. Apprécié par le roi George III, il réussit à subtiliser les papiers concernant le futur traité de paix. A son retour à Versailles, le roi lui accorde un an de salaire, et un brevet de chevalier de l’ordre de Saint Louis.
De retour à Londres d’Eon assure l’intérim de l’ambassadeur (le duc de Nivernais, malade, a du rentrer en France), mais d’Eon prend ce remplacement très à cœur et il entame une vie fastueuse ; Choiseul, ministre des affaires étrangères, refuse de payer les dettes d’Eon à Londres. En effet, ce dernier entretient alors vingt-deux domestiques, douze chevaux, et organise des réceptions à l’ambassade de France tous les jours.
Claude Louis Régnier de Guerchy, comte de Guerchy
L’arrivée du nouvel ambassadeur officiel (Claude Louis François Régnier de Guerchy) est un désastre pour d’Eon, qui ne s’entend pas avec le comte de Guerchy : il estime ce dernier incompétent. Et comment redevenir conseiller lorsqu’on a été ambassadeur par intérim ?
Pendant l’année 1763, le conflit entre les deux hommes est tel que le roi de France Louis XV demande le retour en France du chevalier. Celui-ci refuse et est déchu de son poste de conseiller.
Déçu, aigri (en France, il perd tous ses grades) d’Eon commence à livrer des secrets dans le but de discréditer le nouvel ambassadeur de France, et accuse celui-ci d’avoir voulu l’empoisonner. Celui-ci riposte en engageant un procès contre d’Eon redevenu simple civil. La presse anglaise se passionne pour ce différend entre français, d’autant que le dernier procès de septembre 1767 donne raison au chevalier, mais d’Eon sent que la roue tourne, et la seule façon de se soustraire aux attaques est de reprendre ses habits de femmes. Dès lors, l’ambassadeur accumule les coups bas vis-à-vis d’Eon, il le traite de fou, d’hermaphrodite et de femme. Les Anglais, toujours aussi intrigués lancent des paris sur le sexe du chevalier.
En France, la mort de Louis XV en 1774 provoque l’arrêt du « Secret du roi » ce cabinet secret qui est un nid d’espions et l’avenir du chevalier est alors bien incertain : que va-t-il devenir ? d’autant que le nouveau roi Louis XVI s’interroge sur le cas « d’Eon ».
Le roi charge Beaumarchais de récupérer auprès du chevalier des lettres échangées avec le feu roi Louis XV. Beaumarchais se rend à Londres, et les deux hommes tombent d’accord : le chevalier reçoit une somme substantielle (12 000 livres), un sauf conduit pour aller en France, mais en échange de quoi il s’engage à ne plus porter que des habits de femme, et à confier les papiers compromettants qu’il détient.
D’Eon doit cependant prouver à Beaumarchais qu’il est bien une femme : par un stratagème ingénieux, il utilise un élastique pour dissimuler son sexe à l’entre jambe en le tirant vers l’arrière, puis Beaumarchais inspecte la « demoiselle » à travers ses vêtements : ne rencontrant aucun « obstacle » dans son attouchement et conclut que d’Eon est bien une femme. Le roi Louis XVI lui verse une pension, mais d’Eon n’est plus un espion pour le roi de France.
Hélas, deux ans plus tard en 1777, d’Eon revient à Versailles, et se présente dans son costume de capitaine de Dragons. Le roi Louis XVI, persuadé que d’Eon est une femme, lui intime l’ordre de ne paraitre qu’en vêtements de son sexe, c’est-à-dire de celui d’une femme.
« de par le roi, il est ordonné à Charles Geneviève Louise Auguste Andrée Timothée d’Eon de Beaumont de quitter l’habit uniforme de dragons qu’elle a continué à porter et de reprendre les habits de son sexe avec défense de paraitre dans le royaume sous d’autres habillements que ceux convenables aux femmes…. »
C’est ainsi qu’habillé en robe à paniers, le chevalier d’Eon est présenté à la Cour le 23 novembre 1777 sous le nom de Melle d’Eon. Il devient pour un temps la coqueluche des salons parisiens : on s’interroge sur cette femme aux bras poilus, à la stature masculine, aux gestes brusques (le chevalier n’est plus le jeune homme imberbe qui pouvait porter une robe, une perruque, et des dentelles sans que personne ne s’étonne sur l’identité de son sexe). Charles a maintenant presque cinquante ans, et l’obligation de porter robe doit certainement lui peser : il a toujours l’habitude de s’asseoir les jambes écartées, et de monter les escaliers quatre à quatre (en robe !).
Le duel entre Monsieur Joseph Boulogne chevalier de Saint Georges et le Chevalier d’Eon (le 9 avril 1787 à Carlton House)
Aussi, lorsque la guerre d’indépendance éclate en Amérique, il se rhabille en dragons ce qui lui était formellement interdit par le roi. Aussitôt arrêté en mars 1779, Louis XVI l’exile à Tonnerre sur ses terres familiales.
La petite vie de province ne lui suffit bientôt plus (et pourtant il fait sensation, il est fêté partout par la bourgeoisie locale qui invite cette « chevalière d’Eon » si intrigante), il se languit de Londres, où il a connu ses meilleures années d’existence, et surtout sa belle bibliothèque lui manque. Et puis surtout les Anglais l’ont toujours apprécié et aimé !
En novembre 1785, il retourne à Londres et retrouve son ancien logement : il a la mauvaise surprise d’y retrouver son propriétaire qui lui réclame les loyers dus en son absence : ce dernier menace de vendre les 8000 livres que d’Eon a amoureusement entreposé dans sa chambre. Acculé, d’Eon est forcé de vendre ses chers livres, un par un, pour payer ses dettes. Quand la Révolution française éclate en 1789, sa pension (qui était versée par le roi sur la cassette royale) est supprimée.
Les évènements de Paris conduisent d’Eon, prudent, à rester à Londres où il possède encore quelques amis. Quand la France déclare la guerre à l’Angleterre en février 1793, d’Eon se retrouve dans la gêne.
Ses amis les plus chers ne sont plus de ce monde : le duc de Nivernais est mort en 1798, sa femme, la comtesse de Rochefort, est morte en 1782.
Le chevalier d’Eon survit grâce à des duels en escrime (où il s’habille en femme), ou lors de représentations payantes où il donne (toujours habillée en dame) des cours d’escrime. (il gagne alors environ 400 livres).
Une vieille dame britannique, la veuve Mary Cole, le recueille dans sa pension, il est alors doté d’une certaine corpulence, mais il excelle encore dans ses manifestations d’escrime. En aout 1796, il est gravement blessé lors d’un duel, et l’épée de son adversaire lui transperce le poumon. La déchéance ne va pas tarder pour la « chevalière d’Eon » : en 1804, il est conduit en prison à Londres à cause de ses dettes et y reste cinq mois : ses mémoires auraient pu le sauver, car les éditeurs le pressent de les rédiger, mais elles sont encore à l’état embryonnaire et il lui faut une certaine concentration pour les rédiger. Concentration qu’il n’a pas, surtout après avoir été victime d’une attaque vasculaire.
La prison pour dettes à Londres
Il vivra encore quatre ans dans la misère à Londres (il est contraint de vendre sa tabatière en or et sa croix de Saint Louis garnie de diamants) avant de mourir le 21 mai 1810 à l’âge de 81 ans dans ses habits de femme.
Le chirurgien qui effectuera la toilette mortuaire de la défunte constatera (à sa grande stupéfaction) qu’il s’agissait d’un homme et « qu’il a trouvé sur ce corps les organes males de la génération parfaitement formés sous tous les rapports ».
Le chevalier d’Eon qui s’habilla quarante-neuf ans en homme, et trente-deux ans en femme, fut enterré à Londres au cimetière de la paroisse de Saint Pancras. Dans son testament il avait demandé à être enterré à Saint Pancras auprès de son cousin d’Eon de Mouloise. Pour la petite histoire, en 1860 la construction de la voie ferrée de la Midland Railway amputa une partie du cimetière, et les restes du chevalier d’Eon furent portés dans une fosse commune au St Pancras Coroner’s Court.
Cimetière de Saint Pancras à Londres (détruit)
Charles de Beaumont, chevalier d’Eon ne s’était jamais marié et n’aura aucune descendance.
Ses amours le portaient vers les femmes (son travestissement en femme l’avait aidé à approcher nombre d’épouses infidèles sans que l’époux ne se doute de quoi que ce soit) et il n’était pas du tout attiré par les hommes. Il finira par devenir l’égérie des travestis et donnera naissance à des histoires comme « Lady Oscar » en dessin animé. La chanson lui rendra hommage avec Mylène Farmer qui dans sa chanson «sans contrefaçon » souligne qu’elle est comme « d’Eon, un mouchoir au creux du pantalon…. ».
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Sources :
– Wikipedia
– Histoire d’amour de l’Histoire de France (le siècle des Lumières) de Guy Breton
-Le chevalier d’Eon de Evelyne Lever, edition Fayard, 2009