Isabelle d’Angoulème, reine d’Angleterre (1186-1246)

Spread the love

 

isabelledangoulem

Née en 1186 à Angoulème
Morte le 31 mai 1246 à l’abbaye de Fontevraud
Inhumée à l’abbaye de Fontevraud

Isabelle d’Angoulême naquit en 1186, vraisemblablement au palais d’Angoulème. Elle est la fille unique d’Aymar Taillefer comte d’Angoulême (1160-1202), vassal du roi d’Angleterre Jean sans Terre, et de son épouse Alice de Courtenay (1160-1218). Par sa mère, elle est l’arrière petite fille du roi Louis VI le Gros et est donc apparentée à la famille royale des capétiens.

 

En grandissant, ses parents n’ayant pas d’autres enfants, elle devient l’unique héritière du comte d’Angoulême et devient donc un parti très recherché. En plus de sa dot, la jeune fille est très belle, et avide de connaissances. Son seul défaut est son orgueil démesuré que personne ne songe à combattre. Son futur époux devra être à la hauteur du superbe lignage d’Isabelle.

C’est pourquoi son père la fiance dès l’âge de douze ans au fils de l’un de ses voisins le puissant baron Hugues IX de Lusignan, dit Le Brun. En effet, Hugues le Brun a lui aussi un fils prénommé Hugues (qu’on distingue de son père en le surnommant « le Jeune ») et qui a dix ans de plus qu’Isabelle d’Angoulême.

Hugues de Lusignan, le Jeune, est un superbe gaillard à la belle prestance qu’Isabelle connaît bien puisqu’il a souvent l’opportunité de venir à la cour du comte d’Angoulême. La jeune fille est ravie de cette future alliance, et fière de son futur époux, ne déclare t’elle pas à qui veut l’entendre : « à la plus belle, il faut le plus beau ? ».

Isabelle d’Angoulème, reine d’Angleterre (portrait de son effigie à l’abbaye de Fontevraud)

Quant à Hugues, il contemple avec beaucoup de satisfaction sa future promise dont la beauté exceptionnelle égale celle de sa dot. En effet, en joignant leurs deux terres par l’intermédiaire du mariage de leurs rejetons, les futurs beaux pères, le comte d’Angoulême et le seigneur de Lusignan entendent bien créer un nouvel état suffisamment puissant pour résister aux pressions que la cour d’Angleterre et la cour de France font subir à leurs provinces.

Car des pressions il y en a surtout du roi d’Angleterre, ce fameux Jean sans terre (le fameux Jean sans Terre de Robin des Bois), frère du défunt Richard cœur de Lion, roi d’Angleterre qui vient de mourir bêtement au siège de Chalus quelques mois auparavant en 1199. Le roi Jean tient pour l’instant sa cour à Bordeaux en ce début de l’année 1200. Il est le suzerain direct du seigneur de Lusignan et du comte d’Angoulême, et il entend bien garder la main mise sur le bordelais, et les provinces ayant constituées la dot de sa mère Aliénor d’Aquitaine. Or, le futur mariage projeté par ses vassaux ne lui convient guère. L’alliance du comte d’Angoulême et du sire de Lusignan ne lui plaît pas.

Le roi Jean d’Angleterre, époux d’Isabelle d’Angoulème

Ce roi de trente trois ans est depuis quelques mois divorcé de son épouse Isabelle de Gloucester qui ne lui a pas donné d’enfants. En ce printemps 1200, le roi Jean s’apprête à quitter Bordeaux pour la Normandie, pour participer aux noces magnifiques organisées par le roi de France Philippe Auguste, qui célèbre le mariage de son fils Louis (futur Louis VIII) avec la princesse espagnole Blanche de Castille. Or, le comte d’Angoulême et sa fille Isabelle sont eux aussi invités à la noce. C’est donc là, pour la première fois, que le roi Jean pose le regard sur Isabelle d’Angoulême, âgée de quatorze ans. Le roi de France Philippe, toujours alerte lorsqu’une jolie femme passe devant ses yeux, aurait même murmuré à son voisin de table, le roi Jean : « par la lance Saint Jacques, si avais en mes Etats aussi exquise personne, serais au point et n’irais à autre ».

On ne sait pas si la suggestion du roi de France poussa le roi Jean à agir comme il le fera par la suite, ou si sa réaction fut mêlée au refus du roi du Portugal de lui donner sa fille en mariage courant juillet 1200. Toujours est il que de retour dans le bordelais, il organise l’enlèvement d’Isabelle au cours d’une chasse organisée sur les terres de son vassal le comte d’Angoulême. Sans prêter attention aux hurlements de terreur de la jeune fille, il l’enlève sur son cheval, et galope avec sa troupe jusqu’à Bordeaux où les noces sont expédiées le 24 août 1200.

Lorsqu’ils furent devant l’évêque qui devait officier le mariage, le roi Jean lui dit : « Unissez-moi par les liens du mariage avec cette dame parce que je la désire pour femme. » L’évêque, dit-on, n’osant résister au monarque anglais, les maria.

Le comte d’Angoulême, père d’Isabelle, et les Lusignan sont furieux. Mais la colère du père d’Isabelle s’apaise très vite lorsqu’il se rend compte que sa fille va devenir reine d’Angleterre. Il n’en est rien pour les Lusignan, père et fils, fous de rage de voir s’éloigner, l’un une alliance intéressante, l’autre une fiancée auquel il était très attaché.

Quant à Isabelle, consentante ou pas du rapt, elle devenait d’un coup reine d’Angleterre. Et le roi Jean avait à ses yeux plusieurs qualités que la jeune fille ne pouvait qu’apprécier : comme elle, il était féru d’arts et de lettres, et il se passionnait de poésie et d’architecture. De plus, comme Isabelle, il appréciait la chasse au faucon et était excellent cavalier et chasseur. Certes, il était moins beau physiquement qu’Hugues de Lusignan le Jeune, mais il avait un visage fin couronné d’une courte barbe qui accentuait cependant le regard qui était fuyant. Capable d’élans généreux, le roi Jean pouvait aussi se rendre coupable d’incroyables actes de cruauté.

En attendant, conscient qu’il avait provoqué un remous indescriptible dans sa province d’Aquitaine, le roi Jean file avec sa jeune épouse à Chinon, où les noces sont consacrées une deuxième fois. Dès le 25 septembre 1200, ils embarquent tous deux pour l’Angleterre où le roi installe Isabelle au palais de Westminster. Pour appuyer la légalité de la jeune reine, il la fait couronner reine d’Angleterre dans les semaines qui suivent, puis part avec sa cour dans un long voyage à travers l’Angleterre, où la nouvelle reine est présentée à ses sujets. Le roi Jean l’installe à Marlborough quelque temps, et la comble de cadeaux somptueux. Fort amoureux d’Isabelle, il la couvre de bijoux, de beaux atours, et d’objets précieux qu’il fait venir spécialement de France.

En 1201, Isabelle d’Angoulême passe les fêtes de Pâques à Canterbury, lorsqu’elle apprend que son ancien fiancé Hugues de Lusignan a décidé de se liguer contre le roi d’Angleterre en faisait alliance avec le neveu de celui-ci, le jeune Arthur de Bretagne. Or ce dernier, soutenu par le roi de France, était en conflit avec le roi Jean, à qui il réclamait l’Anjou, le Poitou et la Normandie. Avec un allié comme les Lusignan, le jeune Arthur avait réussi à réunir la plupart des barons poitevins qui soutenaient maintenant sa cause. La vieille reine Aliénor d’Aquitaine, qui se trouvait alors en résidence à Poitiers, avertit son fils de ce qui se tramait en France. Mais celui-ci balaya d’un geste les préoccupations de sa mère pour se consacrer au futur voyage vers Paris où le couple royal était cordialement invité à séjourner à la demande du roi Philippe. Le roi Jean et Isabelle furent somptueusement reçus au Louvre.

La jeune reine d’Angleterre passa plusieurs après midi à broder aux côtés de la bru du roi de France, la jeune Blanche de Castille, dont elle avait assisté aux noces le printemps précédent. Une amitié fragile commença à se tisser entre les deux jeunes filles (Isabelle n’ayant que deux ans de plus que Blanche).

Mais la bonne entente entre le roi de France et d’Angleterre devait être de courte durée. En 1202, le roi de France (qui soutient les demandes d’Arthur de Bretagne) exige de son vassal, le roi Jean, de donner à son neveu Arthur les terres qu’il réclame. Le roi d’Angleterre refuse et c’est la guerre entre la France et l’Angleterre. Armé chevalier par le roi de France, Arthur de Bretagne part à la conquête de l’Anjou et du Poitou, aidé par les troupes levées par Hugues de Lusignan le Jeune. Il encercle la ville de Mirebeau, mais les troupes du roi d’Angleterre l’encerclent bientôt, et Arthur et Hugues de Lusignan le Jeune sont fait prisonniers et expédiés dans un cachot à Caen. Arthur de Bretagne fut envoyé chaînes aux pieds à Rouen, où il fut assassiné quelques temps après sur ordre du roi Jean, qui règla ainsi le problème épineux soulevé par ce neveu trublion. En apprenant la capture d’Hugues de Lusignan, Isabelle interviendra pour que les prisonniers n’aient plus le cou cerclé d’un anneau de fer rattaché aux murs de la prison : elle fut cependant impuissante pour qu’ils soient délivrés des anneaux cerclant leurs pieds et leurs mains. A t’elle agi parce qu’il s’agissait surtout de ses compatriotes (des barons poitevins ?) ou parce qu’elle éprouvait toujours quelques sentiments vis à vis de son ancien fiancé ?

Le doute demeure et cette même année 1202, Isabelle apprend la mort de son père, Aymar Taillefer qui meurt à Angoulème : elle s’était, depuis son mariage, réconcilié avec son père, qui l’avait confirmé dans ses droits à sa succession.

Le château de Winchester, résidence favorite d’Isabelle en Angleterre

En novembre 1203, le roi Jean et Isabelle d’Angoulême tiennent leur cour à Saumur, une fois le Poitou pacifié. C’est à cette occasion que la jeune reine d’Angleterre ira rendre visite à Aliénor d’Aquitaine qui s’est retirée définitivement en retraite à l’abbaye de Fontevraud. En décembre 1203, le roi d’Angleterre et son épouse retournent en Angleterre. C’est là qu’ils apprennent la mort de la vieille reine Aliénor d’Aquitaine le 31 mars 1204, âgée de quatre vingt deux ans, qui demande à être ensevelie à l’abbaye de Fontevraud auprès des tombeaux de son mari, Henri II Plantagenêt, et de son fils préféré, Richard cœur de Lion.

La mort empêche donc la vieille reine de voir son héritage partir en fumée : en effet, en 1204, le roi Jean perd définitivement la Normandie et le Maine, et les provinces d’Anjou et de Touraine se déclarent pour le roi de France. Ses mauvaises nouvelles dégradent l’humeur du roi Jean ; alors qu’Isabelle d’Angoulême fête ses dix huit ans, elle apprend pour la première fois que son mari lui est infidèle. Ce dernier entretient une relation suivie avec une certaine Havise de Tracy qui lui donnera douze bâtards (certains naitront après son mariage avec Isabelle). La reine finit par apprendre l’infidélité du roi Jean. Son caractère orgueilleux et sa fierté blessée la rend bientôt dure et impopulaire.

Les chroniqueurs de l’époque l’accablent de tous les vices et la traitent de sorcière du Midi ou de Jézabel. Ils prétendent même que pour se venger du roi, la reine prend des amants de passage et se mêle à toute sorte de débauches. C’est dans cette ambiance houleuse qu’Isabelle d’Angoulême va mettre au monde son premier enfant le 1er octobre 1207, au château de Winchester, un fils, que le roi Jean baptise Henry. Il deviendra le futur roi Henri III d’Angleterre.

Les fêtes organisées pour la naissance du petit prince seront gâchées par un geste impétueux du roi Jean : furieux de se voir imposer par le pape Innocent III un archevêque de Canterbury qu’il n’a pas choisi, il se saisit des biens de l’archevêché, et persécute le clergé local. Pour se venger, le pape prononce l’excommunication du roi et du royaume d’Angleterre frappé d’interdit. Pendant six ans, les églises d’Angleterre furent fermées, les cloches ne sonnent plus et les morts sont privés de sépultures. Pendant cette période sombre, le roi Jean se rapproche de son épouse, et Isabelle va donner naissance à deux autres enfants : Richard en 1209 et Joan en 1210.

Au bout de six ans, le peuple se faisant menaçant, le roi Jean accepte de se soumettre vis à vis du pape, il finit par se déclarer vassal du Saint Siège : aussitôt l’excommunication est levée.

Pour se changer les idées et fuir l’ambiance mécontente qui règne en Angleterre, le roi Jean embarque pour Bordeaux en avril 1214, laissant la reine et ses enfants en Angleterre. Malgré le souhait ardent d’Isabelle d’Angoulême, il refuse de la nommer régente lors de son absence. C’est le vieux Guillaume le Maréchal (âgé de soixante huit ans), comte de Pembroke, qui est chargé d’administrer le royaume d’Angleterre en l’absence du roi. De plus, Isabelle d’Angoulême est de nouveau enceinte et elle accouche d’une fille, Isabelle fin 1214.

Les barons aquitains firent un accueil chaleureux au roi Jean, sauf les seigneurs de Lusignan (le père et le fils) qui n’avaient toujours pas digéré l’affront de l’enlèvement d’Isabelle. Ils refusèrent de rendre hommage au roi Jean ; le roi d’Angleterre finit par planter ses troupes devant la ville de Lusignan, et fit le siège de la ville. De guerre lasse, les seigneurs de Lusignan vinrent se soumettre de mauvaise grâce, et rendre hommage au roi Jean. Satisfait et dans un geste assez ironique, le roi Jean proposa au vieux sire de Lusignan d’unir son fils (l’ancien fiancé d’Isabelle) à sa propre fille, Joan, alors âgée de quatre ans ! Mollifié, l’ancien fiancé d’Isabelle (âgé de trente huit ans) et qui ne s’est jamais marié depuis le rapt d’Isabelle, accepte de devenir le gendre du roi d’Angleterre.

Les fiançailles sont donc conclus, et le roi Jean promet de donner à sa fille Joan en dot Saintes, l’île d’Oléron, et deux milles livre de dot. Il réclame aussitôt la présence de la reine Isabelle d’Angoulême en Aquitaine, qui doit voyager avec le prince Richard et la petite Joan. Elle doit aussi apporter l’argent de la dot. Qu’a du penser Isabelle de ces étranges fiançailles ? a t’elle eu un pincement au cœur en imaginant son ancien fiancé marié à sa propre fille ? D’autant que la fillette fut confiée immédiatement aux soins des femmes de la maison de Lusignan, chargée de l’élever dans la maison de son futur époux.

Le château d’Angoulème qui vit la naissance d’Isabelle et qui fut sa résidence en France en tant que comtesse d’Angoulème

Isabelle d’Angoulême revit elle son ancien fiancé à cette occasion ? Il semble que le roi Jean, prudent, lui ait demandé de s’installer à Angers, et de laisser partir la princesse Joan, sous bonne escorte, en Poitou. D’autant que les nouvelles pour le roi d’Angleterre étaient mauvaises : le roi Philippe Auguste venait de remporter en juillet l’éclatante victoire de Bouvines, et les ambitions du roi de France pour reconquérir les possessions françaises du roi Jean, revenaient au centre de ses priorités. De plus, en l’absence du roi Jean, la guerre civile avait éclaté en Angleterre.

Courant mars 1215, le roi et la reine d’Angleterre retournèrent en Angleterre, et la famille royale fut mis en sûreté au château de Corfe, alors que le roi Jean se rendait à Londres, où les barons anglais mécontents de la hausse des impôts réclamaient une charte de libertés. Acculé à céder, bien malgré lui, aux pressions de ses propres nobles, le roi Jean accordait le 12 juin 1215 à ses barons la Grande Charte contenant soixante cinq articles reconnaissant les libertés demandées : la Magna Carta fut donc rédigée, et elle existe d’ailleurs toujours.

La reine Isabelle qui venait à nouveau d’accoucher d’une fille (Eleanor) au printemps 1215, pensa alors que la paix alla alors se rétablir, mais par un coup du sort, le pape Innocent III annula la Grande Charte la déclarant irrecevable. Furieux, les barons anglais se mirent dans la tête de détrôner le roi Jean, et de mettre à sa place le prince Louis, l’héritier du roi Philippe Auguste. Ce dernier franchi la Manche (sans son épouse Blanche de Castille), et fut reçu triomphalement à Londres par les barons. Il reconnut aussitôt la Grande Charte, faisant du roi Jean un roi détrôné, et en fuite.

Ce dernier rassembla son armée qui lui était restée fidèle et se lança dans la bataille. Malheureusement, le roi Jean se trouva bientôt mal après avoir mangé un repas trop copieux (de pêches pas mures, semble t’il) et il manda auprès de lui l’évêque de Lincoln, auquel il confia son testament en faveur de la reine Isabelle, et de son fils aîné Henry. C’est ainsi qu’il mourut le 19 octobre 1216, âgé seulement de quarante neuf ans. Le roi Jean fut enterré en la cathédrale de Worcester.

Prévenu par des fidèles de la maladie de son mari, la reine Isabelle fit promptement couronner son fils Henry. En pleine nuit, elle se rendit à Gloucester, accompagné du petit prince, âgé de neuf ans. L’enfant fut fait chevalier par Guillaume le Maréchal, comte de Pembroke, et fut couronné le 28 octobre 1216. L’enfant fut couronné cependant sans la couronne et les insignes royaux, perdus par son père dans un marais, lors de sa fuite de Londres.

La beauté de la cérémonie, le sérieux de l’enfant, et son innocence émurent les barons anglais présents lors du couronnement. Les péchés du père furent oubliés, et la noblesse et le clergé se rallia très vite au jeune Henry III. Le prince français, Louis, comprit qu’il n’avait plus rien à espérer en Angleterre et que l’appui des barons lui avait été retiré. D’autant que le comte de Pembroke, le vieux Guillaume le Maréchal, apportait son soutien inconditionné à Henry III et à sa mère Isabelle d’Angoulême. Ses biens furent conservés et les domaines (du moins ceux qui restaient) que la reine Aliénor avait reçus en dot lui furent attribués. Consciente de laisser ses enfants en de bonnes mains (celles du comte de Pembroke), Isabelle entreprit de retourner en Angoumois, et débarqua à la Rochelle en été 1217, laissant ses enfants en Angleterre : Henry, Richard, Isabelle et Eleanor furent confiés à la garde du comte de Pembroke.

L’arrivée d’Isabelle à Angoulême fut un triomphe. Elle s’y installa et dédia son temps à restaurer son pouvoir sur les communes de son comté. Elle retrouva avec joie sa mère, qui devait mourir quelques mois plus tard en 1218. Ayant pris en main la gestion de son comté, Isabelle signait d’une main adroite « Isabelle, reine d’Angleterre, comtesse d’Angoulême ». Elle gardait une correspondance constante avec son fils Henry : « j’ai souvent réclamé votre aide sans succès, les mots ne me suffisent pas. Si la trêve avec la France devait être rompue, il y aurait grand danger pour vos troupes et pour les miennes ».

La trêve avec la France ne fut pas rompue, et le conseil de la régence d’Angleterre confia la défense de l’Aquitaine au baron poitevin le plus habile, c’est à dire Hugues de Lusignan le Jeune, ancien fiancé et futur gendre d’Isabelle. Le vieux seigneur de Lusignan était parti en Croisade (il mourra d’ailleurs là bas quelques mois plus tard) laissant son fils gérer leurs terres. Habile guerrier, ce dernier pacifia le Poitou et reçut du jeune Henry III des lettres de remerciements.

Le seigneur de Lusignan (devenu entre-temps comte de la Marche en 1219) fut reçut à la cour d’Angoulême, et les anciens fiancés se revirent pour la première fois. La petite Joan, maintenant âgée de dix ans eut aussi l’occasion de revoir sa mère.

Comment se passèrent ses retrouvailles ? Isabelle d’Angoulême avait trente quatre ans, Hugues de Lusignan en avait quarante quatre. Isabelle avait conservé sa beauté éclatante maintenant teintée d’un maintien de reine ; Hugues, quant à lui, était devenu un homme avisé, et était l’un des barons les plus imposants du Poitou. Il assura habilement la défense de l’Aquitaine et fut reçu presque quotidiennement à la cour de la comtesse-reine. Les anciens fiancés ne résistèrent pas à leurs nouvelles passions, et en août 1220 la reine Isabelle épousait son ancien fiancé, Hugues de Lusignan qui devenait par son mariage comte d’Angoulême. La rapidité du mariage laissait soupçonnée une grossesse inattendue, et ce fut le cas lorsque la reine donnera naissance à son fils Hugues à la fin de l’année 1220.

Blanche de Castille, régente de France et son fils Louis IX (Saint Louis)

Inutile de dire que le mariage secret provoquera un énorme scandale. Pour anticiper la réaction de son fils Henry, Isabelle prit la plume et donnera à ce dernier les raisons de son mariage précipité : « et dieu sait que ce que nous avons fait est pour votre bénéfice plutôt que pour le notre ». Elle soulignait que la princesse Joan n’ayant que dix ans, le seigneur de Lusignan aurait pu être tenté de s’unir à une fille du roi de France et ainsi le comté de Lusignan aurait été perdu pour le roi d’Angleterre. En bref, Isabelle s’était « sacrifiée » pour le bien de l’Angleterre. Le prince Henry se contentera de réclamer le retour de sa sœur Joan en Angleterre où elle fut promise quelques mois après au futur roi d’Écosse Alexandre II, âgé de vingt trois ans.

Isabelle bénéficiera toujours du soutien de son fils Henry qui lui cédera ses droits sur le comté d’Angoulême. De plus, il la soutiendra toujours fidèlement en lui donnant de l’argent pour gérer son domaine français. Bien consciente qu’elle n’avait plus aucun avenir politique en Angleterre, Isabelle d’Angoulême se consacrera entièrement à l’Angoumois. Respectueux de son épouse, Hugues de Lusignan ne tentera jamais de lui imposer ses vues sur l’administration de ses biens. La comtesse-reine se mit alors à bâtir des monastères et des châteaux, sanctionnant les droits de pêche et de chasse. Sa vie conjugale fut également riche en enfants, elle donnera en effet neuf enfants au seigneur de Lusignan : 4 filles (Marguerite, Agnès, Alice et Isabelle) et 5 garçons (Hugues, Guillaume, Geoffroy, Aymar, et Guy), sa dernière grossesse ayant lieu à l’âge de quarante cinq ans !

Le château de Hugues de Lusignan, à Lusignan

Trois ans après son deuxième mariage, Isabelle apprend la mort du roi de France Philippe Auguste qui meurt en 1203 : son fils lui succède, le prince Louis, devient le roi Louis VIII et sa femme Blanche de Castille est maintenant reine de France. Dès qu’il accède au pouvoir, Louis VIII tourne ses yeux vers l’Aquitaine, et reprend à son compte l’idée de son père de récupérer ses territoires tombées sous la férule du monarque anglais.

Le nouveau roi de France approche discrètement les barons poitevins pour s’assurer de leur alliance, et bien sur, il entreprend des démarches secrètes avec le plus puissant d’entre eux Hugues de Lusignan, comte d’Angoulême, mari de la comtesse reine Isabelle.

Sans qu’elle le sache, le mari d’Isabelle entreprend de faire la tournée des châteaux pour convaincre les barons poitevins de se joindre à la cause du roi de France. Ce dernier lui a promit la seigneurie de Bordeaux si le seigneur de Lusignan arrive à ses fins. Apprenant par hasard les démarches de son époux, Isabelle d’Angoulême entre dans une rage folle, elle écrit aussitôt à son fils Henry pour qu’il dépêche une armée en Aquitaine : ce dernier envoie son jeune frère Richard de Cornouailles, qui tente de persuader les barons de rester fidèle à l’Angleterre. C’est la croisade contre les Albigeois en 1225 qui sauvera les possessions anglaises en Aquitaine. Sur ordre du pape Honorius III, Louis VIII doit abandonner ses idées personnelles sur l’Aquitaine, et partir guerroyer contre les hérétiques du Languedoc.

Malheureusement, il devait y trouver la mort, Louis VIII meurt à l’âge de trente neuf ans laissant son fils Louis (futur Louis IX et futur Saint Louis) monter sur le trône. Sa femme, la reine Blanche de Castille devient régente de France.

L’abbaye de Fontevraud, dernière demeure d’Isabelle d’Angoulème

Désireuse de se concilier les bonnes grâces de la comtesse reine, la nouvelle régente proposa d’unir le frère de Louis IX avec Isabelle, une des filles des Lusignan, mais l’ancienne reine d’Angleterre repoussa cette alliance. Isabelle d’Angoulême n’aimait guère Blanche de Castille, les souvenirs d’autrefois où les deux jeunes filles brodaient ensemble dans une des salles du Louvre semblent bien loin. Blanche de Castille a réussi là où Isabelle a échoué : elle règne sur la France, alors qu’Isabelle a du se résoudre à régner sur l’Angoumois la terre de son père.

De plus, Isabelle se méfie des intentions de la régente de France vis à vis de l’Aquitaine, et elle est bien décidée à défendre bec et ongle les possessions françaises de son fils. C’est pourquoi elle encourage son fils Henry III à débarquer à Saint Malo le 3 mai 1230 pour rejoindre la coalition des seigneurs mécontents de la nouvelle régente de France. Isabelle rejoint son fils à Dinan le 21 mai 1230, mais le roi d’Angleterre doit retourner piteusement en Angleterre lorsque la coalition avec les rebelles échoue.

En 1236, Henry III se marie avec Eléonore de Provence, l’une des sœurs de Marguerite de Provence qui a épousé le jeune roi Louis IX. Ce mariage rapproche un peu plus Blanche de Castille de la comtesse reine, mais cette dernière rechigne à se rendre à la cour de France lorsque son mari, le comte d’Angoulême est convoqué par Louis IX.

L’ancienne reine d’Angleterre supportait mal de ne pas être traitée en souveraine à la cour de Blanche de Castille ; en Angoumois, chacun la traitait comme son rang de reine le leur imposait, à la cour de France, elle n’est que femme d’un seigneur poitevin et son rang est traité en conséquence. Toujours aussi orgueilleuse, Isabelle supporte mal ce qu’elle considère comme un affront. Sa rage explose un jour de 1241, où vêtue d’une robe brodée aux armes de la Marche (son mari est comte de Marche) et de l’Angoumois, elle se rend à Saumur où son mari a été convoqué par le roi. Fêtes et banquets se succèdent, mais Isabelle d’Angoulême doit attendre trois jours avant d’être reçue par Blanche de Castille, qui la laisse debout lors de son audience.

Les enfants du roi Jean et d’Isabelle d’Angoulème : Henry III, Richard, Isabelle, Eléonore et Joan

Furieuse et blessée, et de retour à Angoulême, Isabelle refuse de se joindre à son mari lorsque celui-ci doit rendre hommage à Louis IX et à son jeune frère Alphonse, tout nouvellement nommé comte de Poitiers et d’Auvergne. Or le précédent comte de Poitiers n’était autre que le roi Richard cœur de Lion : Isabelle se refuse à venir s’agenouiller devant ceux qu’elle considère comme des usurpateurs et des spoliateurs. Elle tente de faire entendre son point de vue à son époux Hugues de Lusignan, mais malgré les pleurs, les menaces et les cris, le comte d’Angoulême prend la route de Poitiers et reçoit somptueusement le roi de France et son frère Alphonse dans son château de Lusignan.

En apprenant la démarche de son époux Isabelle traite son mari de lâche, et déclare qu’elle ne restera pas un instant de plus auprès d’un époux qu’elle considère comme un traître. Elle se rend à Angoulême, et vide le château de tous les coffres ayant appartenu à son époux. Hugues de Lusignan tente d’apaiser la colère de sa femme, qu’il ne comprend pas, mais elle fait interdire l’entrée du château d’Angoulême à son époux. Et bien sur, elle lui interdit son lit.

Or, le comte de Lusignan est un homme fort amoureux de son épouse, qu’il aime et respecte profondément : il est prêt à tout pour regagner l’estime de sa femme, et celle-ci lui indique le seul chemin qui pourrait lui permettre de regagner son affection : il doit réunir les barons et faire la guerre au roi de France. Hugues de Lusignan parvient à rassembler une troupe de seigneurs mécontents (notamment des gascons et des seigneurs de Saintonge) et déclenche les hostilités contre le jeune Alphonse, comte de Poitiers. Celui-ci se tourne alors vers son frère Louis qui débarque avec son armée sur les terres de Lusignan.

Quant à Isabelle, se doutant que le roi de France ne serait pas inactif, elle demande l’appui de son fils Henry III : soucieux d’aider sa mère, le roi d’Angleterre débarque à Royan le 12 mai 1242 avec trois cent chevaliers, et trente tonnes d’argent. Pour aider sa mère et son beau père, Henry III déclare la guerre à son beau frère ! Mais les forces du roi de France sont bien supérieurs à celles de ses adversaires : le 21 juillet, Louis IX s’empare de Taillebourg et pour éviter d’être fait prisonnier, Henry III s’enfuit à Blaye. Comprenant que la situation risque de lui être fatale, le comte d’Angoulême décide de faire amende honorable, et implore son pardon en se jetant aux pieds de Louis IX lors d’une entrevue en août.

Sa femme, la comtesse reine l’accompagne, et consciente que la situation ne lui est pas favorable implore, en pleurs, le pardon du roi. Emu, Louis IX, qui n’arbore aucune colère envers ces deux rebelles, relève la comtesse de Lusignan et lui accorde son pardon, mais les Lusignan doivent remettre au roi les places fortes de Lusignan, Merpins et Cognac en gage de bonne volonté.

La réputation de la comtesse reine est en lambeaux : on l’accuse de toutes les calomnies, d’être une sorcière, et on lui prête des intentions criminelles : elle aurait tenté de faire empoisonner le roi Louis IX ! On ne lui pardonne pas d’avoir entrainé son mari dans une guerre aussi folle qu’inutile et uniquement pour satisfaire cet orgueil infernal qui a été finalement sa perte.

Isabelle d’Angoulême ne devait jamais se remettre de cette humiliation publique vis à vis du roi de France, et les bruits haineux qui courent à son égard l’ont ébranlée. Fatiguée et malheureuse, elle décide à l’age de cinquante six ans de se retirer à l’abbaye de Fontevraud. Malgré les supplications de son époux, elle prend le voile dans la retraite qui avait accueilli sa belle mère, Aliénor d’Aquitaine.

Elle y rédige son testament, lègue mille livres à l’abbaye, et demande qu’une messe soit dite pour elle lorsqu’elle sera morte pour le repos de son âme.

Quatre ans après s’être retirée à Fontevraud, elle y meurt le 31 mai 1246 à l’âge de soixante ans. D’abord enterrée dans le cimetière de l’abbaye, son fils Henry III exigera qu’elle soit ensevelie aux côtés d’Aliénor d’Aquitaine, et de l’époux de cette dernière, Henry II. Alors qu’Aliénor est représentée par une effigie où elle semble lire sereinement, on voit toujours dans l’effigie représentant Isabelle comme une expression douloureuse, que l’orgueil de la jeune femme semble avoir placé là pour toujours.

Pourtant, fait exceptionnel à l’époque, les quatorze enfants qu’elle mettra au monde vivront tous à l’âge adulte, aucun ne mourra en bas âge. Les enfants de son second lit auront une belle carrière militaire, et les filles feront de beau mariages, notamment grâce à l’appui de leur demi-frère Henry III.

A la mort d’Isabelle d’Angoulême, Hugues de Lusignan suivra le roi Louis IX en croisade et ira mourir là bas, devant Damiette, en Egypte le 5 juin 1249. Le fils aîné d’Isabelle et d’Hugues qui s’était croisé avec son père mourra lui aussi en Egypte un an après son père, en 1250.

La descendance d’Isabelle d’Angoulême :

1- de son mariage avec le roi Jean sans Terre :

  • Henry III (né le 1er octobre 1207 au château de Winchester – mort le 16 novembre 1272 au palais de Westminster) sera roi d’Angleterre de 1216 à 1272 et épousera Eléonore de Provence , devenant ainsi le beau frère de Louis IX ; son épouse lui donnera 9 enfants. Son mariage sera un mariage heureux et uni.

  • Richard comte de Cornouailles (né le 5 janvier 1209 au château de Winchester – mort le 2 avril 1272 au château de Berkhamstead). Il se mariera trois fois : en 1231 avec Isabelle Marshal qui lui donnera 4 enfants, la seconde fois en 1243 avec Sancie de Provence (sœur de la reine Eléonore de Provence et de la reine de France Marguerite de Provence) qui lui donnera trois enfants, et sa dernière épouse en 1269 Beatrix von Keve avec qui il n’aura pas d’enfants. Les allemands l’éliront roi des Romains en 1257 mais il finira sa vie paisiblement en Angleterre.

  • Joan (née le 22 juillet 1210- morte le 4 mars 1238 à Havering) l’ancienne petite fiancée d’Hugues de Lusignan le jeune sera mariée en 1221 à Alexandre II roi d’Ecosse mais mourra après une grave maladie sans donner de descendance.

  • Isabelle (née en 1214- morte le 1er décembre 1241 à Foggia) épousera en 1232 Friedrich II Hohenstaufen, empereur d’Occident, chef de la 6ème Croisade, à qui elle donnera trois enfants. Elle mourra en couches lors de la naissance du quatrième.

  • Eléonore (née en 1215 à Gloucester – morte le 13 avril 1275 à Montargis) , elle épousera en premières noces en 1224 William Marshall comte de Pembroke dont elle n’aura pas d’enfants, puis se remarie en 1239 à Simon de Montfort 5ème comte de Leicester à qui elle donnera six enfants

2- de son mariage avec Hugues de Lusignan :

  • Hugues de Lusignan (né en 1221 – mort en avril 1250 à Damiette en Egypte) comte de la Marche et d’Angoulême, il épousera en 1235 Yolande de Dreux qui lui donnera 7 enfants.

  • Aymar de Lusignan (né en 1222- mort à Paris le 5 décembre 1260) deviendra évêque de Winchester.

  • Agnes de Lusignan (née en 1223- morte le 29 mars 1256), elle épousera en 1243 Guillaume de Chauvigny seigneur de Chateauroux dont elle aura un enfant.

  • Alice de Lusignan (née en 1224- morte le 9 février 1256) elle épousera en 1247 John de Warenne comte de Surrey à qui elle donnera trois enfants.

  • Guillaume de Lusignan (ou William), né en 1225, mort vers 1296, il deviendra le 1er comte de Pembroke et épousera Joan de Munchensy en 1247 qui lui donnera sept enfants.

  • Geoffroy de Lusignan (né vers 1226- mort le 1er mars 1274) seigneur de Jarnac qui épousera en 1259 Jeanne vicomtesse de Chatellerault qui lui donnera deux filles.

  • Isabelle de Lusignan (née en 1227, morte le 14 janvier 1300) qui épousera vers 1240 Maurice seigneur de Craon à qui elle donnera 5 enfants.

  • Marguerite de Lusignan (née en 1229, morte le 22 octobre 1288) qui épousera en premières noces en 1243 Raymond VII comte de Toulouse dont elle se séparera pour cause de parenté, en deuxièmes noces avec Aimery de Thouars en 1246 à qui elle donnera deux enfants et en 3ème noces avec Geoffroy V seigneur de Chateaubriand.

  • Guy de Lusignan (né vers 1230- mort vers 1288) seigneur de Cognac, non marié.

Sources :

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Time limit is exhausted. Please reload CAPTCHA.

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.