portrait par le baron Gerard en 1810
Née à Milan en 1760
Morte à Paris en 1840
Giuseppa Carcano naquit à Milan l’an 1760 d’une excellente famille de la noblesse locale italienne. A l’âge de vingt ans, elle épousa le comte Giovanni Sopransi qui lui donnera un fils Luigi (né en 1783). Ce premier mariage durera un peu moins de cinq ans et la mort du comte Sopransi laissa la jeune femme veuve avant l’âge de vingt cinq ans.
Elle se remariera avec le marquis Francesco Visconti di Borgorato à qui elle donnera un fils, Alberto, en 1790. Elle brillait au sein de la société milanaise de toute sa beauté. Laure Junot, duchesse d’Abrantès donnera un portrait de la marquise Visconti à l’âge de trente sept ans : « je crois n’avoir jamais vu de tête plus charmante que celle de la marquise de Visconti : elle avait les traits délicats, mais réguliers, un nez surtout qui était le plus joli des nez. Il était légèrement aquilin et cependant, un peu relevé à son extrémité où l’on distinguait une fente presque imperceptible. Ses narines mouvantes donnaient en même temps au sourire de Mme Visconti une finesse impossible à peindre. Elle avait d’ailleurs les dents rangées comme des petites perles, et ses cheveux noirs toujours parfaitement relevés dans le goût antique le plus pur, lui donnaient beaucoup de ressemblance avec le camée d’Erigone ».
Bref, elle était irrésistible, d’autant qu’elle possédait beaucoup d’esprit, une drôlerie naturelle et pas plus dans ses actes que dans ses propos ne s’embarrassait de préjugés. Une femme aussi attirante ne pouvait que briser les cœurs masculins, et justement son destin allait basculer en mai 1796.
Le général Napoléon Bonaparte en 1796
Le 15 mai de cette année là, l’armée du général Napoleon Bonaparte entrait en triomphateur à Milan ayant chassé les troupes autrichiennes ; aussitôt la noblesse italienne se précipite lors des invitations du chef de l’armée d’Italie. La belle comtesse Visconti entend bien briller de tous ses feux, et elle se jette semble t’il à la tête de Bonaparte ; celui-ci, qui est mariée avec Joséphine de Beauharnais depuis le mois de mars, ne vit et ne respire que pour sa belle épouse absente restée à Paris. Il tente de se défaire de cette italienne passionnée dont il ne sait que faire ; de guerre lasse, il demande à son aide de camp, Louis Alexandre Berthier, de l’en débarrasser.
Louis Alexandre Berthier par Jean Gros en 1792
Etrange choix, Berthier, âgé alors de quarante quatre est un célibataire endurci qui n’a jamais connu l’amour. Il a déjà une superbe carrière derrière lui : il a gagné ses galons de colonel quelques années plus tôt lors de la guerre d’indépendance américaine en 1778, et en 1789, à la veille de la Révolution, il fut major général de la Garde Nationale de Versailles qui protégea Louis XVI et la famille royale. Pendant la campagne d’Italie, ce militaire de valeur avait gagné la confiance et les faveurs de Bonaparte. Laure Junot, duchesse d’Abrantes le décrira ainsi : « il n’était pas beau, petit, presque contrefait, il avait une tête trop grosse et surtout ne pouvait pas prononcer deux phrases sans bafouiller ». Bref, tel qu’il était, il plut cependant suffisamment à Giuseppa pour qu’elle consente à tomber dans ses bras. Et ce fut l’éblouissement pour Berthier, il devint éperdument amoureux de la belle marquise Visconti.
Lorsque Bonaparte offrit à son aide de camp un énorme diamant en lui conseillant de garder la pierre pour des jours plus sombres, le soir même au théâtre de la Scala, chacun put voir le diamant briller dans la chevelure noire de la belle marquise. Chaque instant de libre était consacré à la belle Visconti mais hélas, l’état major français fut bientôt rappelé à Paris. Berthier, affolé à l’idée de quitter sa maitresse fit des pieds et des mains pour que le couple Visconti l’accompagne à Paris. Bonaparte acquiesça de mauvais gré, mais il obtint que le mari de Giuseppa fut nommé ambassadeur de la nouvelle république Cisalpine à Paris. Le couple repartit dans les bagages de l’armée française et loua à Paris le très bel hôtel Tessé à l’angle du quai Voltaire et de la rue des Saints Pères.
A Paris, Giuseppa rencontra la femme de Bonaparte, Joséphine de Beauharnais, et les deux Joséphine se lièrent d’amitié. Chacune lança des soirées parisiennes où elles apparaissaient revêtues d’une robe grecque ou romaine transparente laissant entrevoir, dans le cas de la belle milanaise, les formes plantureuses qui affolaient Berthier. La liaison de Berthier et Giuseppa continua de plus belle à Paris sous l’œil indifférent du mari. Mais la guerre continuait, et bientôt le général Bonaparte prépara son expédition pour l’Egypte auquel Berthier ne pouvait déroger puisqu’il était son aide de camp.
Joséphine de Beauharnais femme de Napoléon Bonaparte
La mort dans l’âme, en mai 1798, Berthier s’embarqua à Toulon direction l’ile de Malte, puis Alexandrie. Il emportait avec lui un portrait de Giuseppa et lui voua un véritable culte pendant toute la campagne d’Egypte : il avait confectionné sous sa tente un petit autel où se trouvait le portrait de la marquise Visconti, illuminé par des flambeaux, et venait se recueillir dès qu’il le pouvait auprès de la représentation de sa belle maitresse. Sa tristesse n’altérait en rien sa valeur militaire, et il se distinguera lors de la bataille contre les Mamelouks qui permettra l’entrée des français au Caire. Devant la splendeur des Pyarmides, Berthier laissa échapper avec un soupir « est il bien nécessaire d’aller jusque là haut ? « à quoi Bonaparte répliqua : « mon pauvre Berthier, « elle » n’est pas au sommet de la pyramide, si « elle » y était, vous y seriez déjà ! »
Bonaparte en Egypte par Jean Leon Jerome
Son cœur étant pris, Berthier ne pouvait imaginer que sa maitresse ne lui soit pas fidèle, or, en France, la marquise Visconti menait une vie de bals et de sortie, où elle s’affichait avec un jeune et beau militaire Alexandre de Laborde au vu et au su de tous. A la veille de la quarantaine, la marquise était la proie d’une jalousie maladive : alors que le jeune militaire lui payait ses hommages, il tournait aussi autour de la belle Mme de Briche, l’un des fleurons du Directoire beaucoup plus jeune que l’italienne et plus jolie. Une paire de claques assénée par la marquise au beau Laborde en public relança les spéculations. Les rumeurs d’infidélité et les ragots ne tardèrent pas à revenir aux oreilles de l’expédition française au Caire, mais Berthier, naif, se contenta de hausser les épaules : tout ceci n’était que pure calomnie, Giuseppa l’aimait et ne pouvait pas le tromper. Elle était au dessus de tout soupçon !
En novembre 1799, Bonaparte reprend le chemin de la France emmenant un Berthier « aux anges » avec lui, bien décidé à prendre le pouvoir et à mettre fin au Directoire. En quelques jours, Bonaparte provoque le coup détat de brumaire et devient Consul avec l’aide de Berthier qui est récompensé en étant nommé ministre de la Guerre. Berthier est au comble du bonheur, la belle marquise est retombée dans ses bras. Elle a laissé son jeune amant pour se consacrer à Berthier qui est une valeur sûre. Elle lui écrit des lettres brulantes de passion qui ravissent Berthier qui lui répond sur le même ton. Hélas, quelques espions anglais parviennent à se rendre maitre de certaines de ces missives érotiques, et se font un malin plaisir de les publier.
Louis Alexandre Berthier par Joseph Boze
Evidemment Bonaparte se fâche, d’autant que les temps ont changé ; il n’est plus consul mais est devenu l’empereur Napoléon 1er : il ne tolère pas que son aide de camp se ridiculise de la sorte. Il interdit l’entrée des Tuileries à la marquise Visconti, et relève le mari de son titre d’ambassadeur. De plus, dans l’optique de la création de la future cour impériale, Bonaparte estime que Berthier doit se marier. En 1806, l’empereur fait de Berthier un prince de Neuchatel, et lui intime de lâcher sa vieille maitresse et de se marier, sinon il le fera lui-même ! dans une de ses missives, il lui écrit : « votre passion a duré trop longtemps, elle est devenue ridicule, et j’ai le droit d’espérer que celui que j’ai nommé mon compagnon d’armes ne restera pas plus longtemps abandonné à une faiblesse sans exemple. Je veux donc que vous vous mariez, sans cela je ne vous verrai plus. Vous avez cinquante ans, mais vous êtes d’une race où l’on vit quatre vingt, et ces trente années sont celles où les douceurs du ménage vous seront le plus nécessaires… vous savez que personne ne vous aime plus que moi et vous savez aussi que la première condition de mon amitié est qu’elle soit subordonnée à mon estime. Vous l’avez méritée jusqu’ici, continuez à vous en rendre digne en concourant à mes projets et en devenant la souche d’une bonne et grand famille ».
Napoleon Bonaparte et Berthier à Marengo en 1800
Or, Berthier ne va pas céder pendant quatre ans aux pressions de l’Empereur ! malgré sa nomination au maréchalat, au titre de Grand Veneur, et à la vice connétablie (en 1807). Il finit cependant par s’incliner sous la pression impériale. La belle marquise, fine mouche, et peu désireuse de le partager avec une jeune et belle épouse donna son accord pour qu’il épouse la fille unique du prince Guillaume de Bavière, âgée de vingt quatre ans, laide à faire peur et effacée. Elle s’appelle Elisabeth von Wittelsbach, et le mariage a lieu à Paris, en grandes pompes le 8 mars 1808. Les époux ont trente deux ans de différence ! Evidemment la marquise Visconti figure parmi les invités de la noce, et Berthier la présente à son épouse comme étant « une amie très chère ».
Elisabeth von Wittelsbach, marechale Berthier
Comble de malchance, le marquis Visconti devait décéder quelques semaines plus tard après le mariage de Berthier, laissant Giuseppa veuve et libre ! au grand désespoir de Berthier qui aurait pu enfin épouser la femme de sa vie. Inconsolable, Berthier consentit à ce que sa maitresse devienne sa voisine, et il acheta pour elle la maison voisine de l’hôtel du prince de Neuchatel. Elle fit percer une porte entre les deux immeubles, et bientôt Berthier put entamer un étrange ménage à trois. Son épouse comprit très vite le rôle que jouait l’italienne auprès de son mari, et bientôt des scènes de ménage éclatèrent à intervalles réguliers chez les Berthier, et ce malgré la naissance de trois enfants : Napoléon (en 1810), Caroline (en 1812) et Marie (en 1816). Le couple réside aussi au chateau de Grosbois en Val de Marne.
Le chateau de Grosbois, résidence du marechal Berthier
Même Napoléon dans ses mémoires relatera plus tard que la vie de Berthier était devenue un enfer. Pour couronner le tout, Giuseppa au fil des ans était devenue énorme, son appétit sexuel n’ayant d’égal que son appétit de la table. Elle avait fait faire des corsets à sa taille lui permettant de réduire la taille excessive de ses cuisses. Elle se faisait comprimer dans ce carcan avec une telle vigueur qu’un jour elle s’évanouit de douleur pour se relever à demi paralysée. Berthier, quant à lui fait toutes les campagnes de l’empereur : il est à Marengo, Austerlitz et Iéna et contribue à la bataille de Wagram. Pour le mariage de l’empereur avec la jeune Marie Louise d’Autriche, il représente Napoléon à Vienne. Pendant la campagne de Russie, il tente de dissuader l’Empereur d’aller jusqu’à Moscou, celui-ci le prend très mal, et Berthier donne alors sa démission. C’est le début de sa disgrâce. De plus, Berthier est las de la guerre qu’il a bientôt en horreur.
Pendant la campagne de France, Berthier est blessé d’un coup de lance sur la tête à la bataille de Brienne en janvier 1814. Cette première rencontre qui aurait pu être fatale avec la mort lui donne de quoi réfléchir : sa loyauté vis-à-vis de l’Empereur prend fin à ce moment là. En avril 1814, il adhère au décret du Sénat excluant Napoléon du trône. Dans ses mémoires, Napoléon dira qu’il aura donné au fil des années plus de quarante millions de francs à Berthier et que l’ingratitude de ce dernier l’avait profondément blessé.
A la chute de l’Empire, Berthier se rallie au roi Louis XVIII qui le nommera pair de France et capitaine de ses gardes du corps en juin 1814. Lorsque Napoléon revint de l’ile d’Elbe, Berthier ne se rallia pas à Bonaparte comme tant d’autres, et prit l’exil avec le roi à Gand. Il se réfugia ensuite en Bavière, près de son beau père avec son épouse qu’il avait emmené avec lui au château de Bamberg.Malheureusement, il n’avait pas pu emmener Giuseppa, paralysée et restée en ses appartements parisiens. Pendant les Cent Jours, Napoléon raya Berthier de sa liste de maréchaux et lui confisqua tous ses biens.
Berthier, profondément malheureux car séparé de la femme qu’il aimait, se morfondit en Bavière. Son avenir était plus qu’obscur, et une profonde léthargie s’empara de lui. Un soir de juin 1815 (dix huit jours avant Waterloo), ne pouvant plus supporter son exil, il se jeta de la fenêtre du troisième étage du château, et se fracassa le crâne. Il laissait son épouse Elisabeth enceinte d’un mois à peine (elle accouchera de Marie en février 1816). La nouvelle de sa mort atteignit Paris et les spéculations fusèrent : suicide, accident ou meurtre ? La thèse du suicide l’emporta compte tenu de l’état dépressif de Berthier. D’autres diront qu’il était atteint d’une fièvre l’ayant fait déliré jusqu’à l’accident fatal.
Plaque du souvenir apposée au mur du chateau de Bamberg
Giuseppa apprit la mort de son amant alors que Louis XVIII reprenait le pouvoir, et que Napoléon partait en exil à Sainte Hélène. Elle prit le deuil, et ne devait mourir à Paris qu’à l’âge de quatre vingt ans sous le règne du roi Louis Philippe. La belle marquise Visconti, qui avait été l’ornement de Paris, n’était plus qu’une vieille femme obèse et paralysée.
Descendants de Giuseppa Carcano
Jusqu’aux enfants.
Giuseppa Carcano, née en 1760, décédée en 1840 (à l’âge de 80 ans).
Mariée avec Giovanni Sopransi, dont
- Luigi, né le 23 décembre 1783, Milan (Italie), décédé le 27 mai 1814, Paris (à l’âge de 30 ans), général de brigade (1813).
Mariée avec Francesco Visconti, décédé le 13 mai 1807, dont
- Alberto, né en 1790, décédé en 1805, Paris (à l’âge de 15 ans).