Né le 16 aout 1644 à Paris
Mort le 2 octobre 1724 à Paris
Son père était Jean de Choisy, seigneur de Balleroy (en Normandie), et chancelier de Gaston d’Orléans (frère de Louis XIII), et sa mère était Jeanne Olympe Hurault de l’Hospital. Ses deux parents étaient issus de la « noblesse de robe ». Sa mère était la fille aînée de M de Belesbat, de la maison de Hurault, et petite fille du célèbre chancelier de l’Hospital.
Madame de Choisy avait quarante ans lorsqu’elle accouchât de François Timoléon qui devait être le dernier enfant d’une fratrie de sept : quatre filles (deux mortes en bas age, et deux mises au couvent pour devenir religieuses) et deux fils plus âgés : Jean Paul de Choisy et Pierre de Choisy.
Portrait de François Timoléon (à gauche) et de son frère Jean Paul (à droite) par Mignard
Comme il était d’usage à l’époque, le fils ainé du couple, Jean Paul de Choisy (1632-1697) allait devenir le futur seigneur de Balleroy, il aura la charge de conseiller au Parlement de Toulouse.
Le deuxième fils, Pierre de Choisy (1636-1672) sera destiné à l’armée : protégé de Monsieur de Turenne (grand ami de sa mère), il aura un régiment, et fera sa carrière dans les armées de Louis XIV où il mourra au cours de la guerre de Hollande. Le troisième et dernier fils (François Timoléon) sera, quant à lui, destiné à devenir ecclésiastique. Il fera des études de théologie à la Sorbonne, et deviendra abbé, prêtre, et doyen de cathédrale (celle de Bayeux en Normandie).
La mère de Francois Timoléon était une femme autoritaire, sans gêne, et qui possédait la répartie facile. Tallemant des Réaux en parlera dans ses « Historiettes ». Après son mariage avec Jean de Choisy, elle avait suivie son époux et était venue vivre auprès de Gaston d’Orléans (frère de Louis XIII) au Palais du Luxembourg à Paris, où son mari exerçait son rôle de chancelier. Là, elle avait cotoyé des membres de la famille royale, et notamment Anne d’Autriche, l’épouse de Louis XIII. Afin de plaire à la reine Anne d’Autriche qui cherchait des compagnons de jeu pour son fils cadet, Philippe duc d’Anjou (futur Monsieur) , Madame de Choisy avait pris l’habitude d’habiller Francois Timoléon en fille dès son plus jeune âge.
Portrait de Louis XIV (à gauche) et de son frère Philippe d’Orléans, habillé en “fille” par Charles Beaubrun
Le jeune garçon avait en effet des traits très fins, une abondante chevelure brune, et une taille menue et aurait pu passer pour une fille. Il était de coutume à l’époque d’habiller en fille les garçons jusqu’à l’âge de sept ans, puis, après ils entraient dans le monde des hommes, et on leur donnait des vêtements masculins. Pour François Timoléon de Choisy, rien de tel. Sa mère continua à l’habiller en fille, même adolescent. Cet étrange comportement de la part de Madame de Choisy s’accentua encore plus lorsqu’elle prit l’habitude d’emmener son fils au Louvre pour devenir compagnon de jeu du jeune Philippe, fils cadet d’Anne d’Autriche que l’on habillait aussi en fille. C’est Mazarin qui avait tenu à conditionner le plus jeune fils de la reine en l’habillant en fille afin de gommer en lui toute idée de rébellion vis à vis de son frère Louis, et d’éviter les regrettables mouvements d’humeur et les périls encourus (notamment la Fronde) qui s’étaient déroulés quelques années auparavant entre le roi Louis XIII et son frère Gaston d’Orléans, perpétuel trublion.
La Fronde (combat du Faubourg Saint Antoine à Paris) en 1652
L’idée de Mazarin était d’autant plus facile à réaliser que le jeune Philippe, frère de Louis XIV, avait pris goût aux habits de filles, aux fards, habitude qu’il conservera toute sa vie : en devenant « Monsieur », Philippe d’Orléans montrera son goût prononcé pour les hommes, et il sera plus tard dominé par ses favoris, au rang duquel se tenait le célèbre (et sulfureux) chevalier de Lorraine. François Timoléon de Choisy est tout autre : si on lui inculque le goût des vêtements féminins et qu’on lui demande de les revêtir, il sera par contre toute sa vie attiré par les femmes, voire par les toutes jeunes adolescentes.
Quand il rédigera ses Mémoires à l’âge de soixante ans, il expliquera comment sa mère avait réussi à l’inclure parmi les compagnons de jeu du jeune Philippe d’Orléans.
« On m’habillait toutes les fois que le frère du roi venait au logis. On le mettait à sa toilette, on le coiffait, on lui ôtait son justaucorps pour lui mettre aussi des manteaux de femmes et des jupes. Tout cela se faisait par ordre du Cardinal qui voulait le rendre efféminé. Habillés et parés nous jouions à cligne Musette, Cache-Cache-Mitoulas. Il poussait la coquetterie en se mirant, en mettant des mouches et je fis encore pis. J’avais les oreilles percées, des diamants, des mouches et toutes les petites afféteries auxquelles on s’accoutume fort aisément et dont on se défait fort difficilement. ».
Le jeune Philippe d’Orléans par Just d’Egmont en 1650
Le jeune François Timoléon est frèle de constitution, et sa mère continue de le travestir en fille : elle lui fait porter des « corps de fer » extrêmement serrés pour réduire la taille, développer les hanches et élever la chair qui était grasse et potelée pour produire de la gorge (poitrine). A l’adolescence, François Timoléon cache sous ses vêtements féminins une fausse gorge qui consistent en deux vessies de porc gonflées artificiellement et recouvertes d’un voile de satin. Son épaisse chevelure brune est domptée, frisottée, et peignée à la mode du temps. De plus, on lui perce les oreilles.
Jusqu’à l’âge de dix huit ans, le jeune Timoléon va donc vivre auprès de sa mère habillée en fille. Il expliquera l’attitude de sa mère ainsi :
« j’étais le dernier de mes frères et le dernier enfant : comme ma mère m’avait eu à un âge avancé, je la faisais paraître plus jeune ce qui faisait sans doute qu’elle m’aimait plus que mes frères ; j’étais toujours avec elle ».
Il perd son père à l’âge de seize ans, père qui est très absent dans la vie de son fils, et les liens de François Timoléon se resserrent avec sa mère.
Madame de Choisy fréquente aussi les salons littéraires de Paris et possède une belle plume. Elle a des correspondants qui sont des têtes couronnées : Marie Gonzague, reine de Pologne et la reine Christine de Suède (qui se travestissait en homme). Son fils participe à ses liens littéraires : il racontera que tous les matins il écrivait au chevet du lit de sa mère les lettres que cette dernière lui dictait et qu’elle destinait aux princesses les plus en vue.
La reine Christine de Suède et René Descartes par Pierre Louis Dumesnil
Très tôt sa mère lui inculquera les principes simples pour évoluer dans le monde :
« ne soyez point glorieux, et songez que vous n’êtes qu’un bourgeois, vos père et vos grand pères ont été maitres des requetes, ou conseillers d’état mais apprenez qu’en France on ne connaît de noblesse que celle de l’épée : c’est pour cela mon fils qu’il faut que vous ne fréquentiez que des gens de qualité ».
Outre Philippe d’Orléans (le jeune frère de Louis XIV) qui accordera à François Timoléon son amitié a vie, Madame de Choisy pousse son fils à fréquenter les jeunes ducs et les jeunes marquis de la cour. Elle le pousse aussi dans ses études : en 1663, il obtiendra une charge d’abbé commendataire ainsi que les revenus de l’abbaye de Sainte Seine en Bourgogne.
L’abbaye de Sainte Seine en Bourgogne
A l’âge de vingt ans, François Timoléon de Choisy ira faire des études à Bordeaux. Là, pour la première fois, il se montrera publiquement en habit de fille, et il fréquentera quelques temps les planches d’un théatre où il s’amusera à flirter avec des galants. C’est là qu’il comprendra que ses goûts sexuels le poussent vers les femmes, et qu’il n’est nullement attiré vers les hommes. Il aime se travestir en femme, voire en « jolie femme » mais ses goûts sont ceux d’un homme. Quand il revient à Paris, il conserve ses habits de filles, mais sous la pression de ses frères, il revêt un habit d’hommes pour ses rencontres mondaines. En 1669, c’est le drame, il perd sa mère qui meurt à l’âge de soixante cinq ans. En part d’héritage, il demandera à ses frères de pouvoir récupérer les bijoux de cette dernière : des pendants d’oreilles valant 10 000 Francs, une croix de diamants de 5 000 Francs et 3 bagues.
Portrait d’une “dame de qualité”
Il s’étourdit habillé en femme : fardé, habillé et pommadé, il fréquente les salles de bals et de théâtre. Il exulte lorsqu’il suscite des commentaires élogieux sur son apparence ; un « quelle belle femme ! » lançé par ses voisins provoquera en lui un moment d’extase extraordinaire. Il est toujours un compagnon de Monsieur qui l’envie de pouvoir à sa guise se travestir en fille. Monsieur ne peut le faire qu’en privé, et dans certaines occasions particulières (les bals costumés par exemple). Le frère du roi reconnaît sans peine que François Timoléon de Choisy se révèle être une très jolie femme. C’est aussi ce que lui dit l’une de ses correspondantes, Madame de la Fayette, la célèbre épistolière qui encourage le jeune Choisy a conserver ses habits de fille. Il n’avait pas besoin de ses encouragements pour continuer à se produire dans le monde en habit de fille.
Ses apparitions font sourire, et peu de ses contemporains s’en indignent : les uns s’extasent de trouver que le jeune Choisy réussit à être une « jolie femme », les autres s’indignent de cet accoutrement contre nature (le jeune Choisy est tout de même censé entrer dans le monde des écclésiatiques ) et le premier affrontement avec le monde des censeurs va bientôt être un choc pour le jeune François.
Portrait du Dauphin Louis, fils de Louis XIV, agé de dix ans par Mignard
En effet, la « bulle » de François Timoléon de Choisy va se désintégrer début 1670 lorsqu’il fera connaissance avec le jeune Dauphin Louis (fils de Louis XIV) venu à l’Opéra se distraire accompagné de son gouverneur le très rigide duc de Montausier. François Timoléon, vếtue en femme et superbe dans une robe blanche parsemée de fleurs délicatement brodées, attirera de l’oeil une connaissance, la duchesse d’Uzès (fille du duc de Montausier), positionnée à côté du jeune Dauphin dans sa loge.
La duchesse fera signe de son éventail au jeune Choisy de venir se présenter dans la loge du Dauphin. L’entretien durait depuis quelques minutes, le Dauphin étant littéralement le souffle coupé devant cette jolie femme lorsque le duc de Montausier, qui s’était absenté, revint inopinément dans la loge du Dauphin. De vue et de réputation, Charles de Sainte Maure, duc de Montausier connaissait l’existence du dernier fils de Madame de Choisy. Il savait aussi que la femme présente devant lui n’était pas une femme mais un homme déguisé en femme. La moutarde lui monte instantanément au nez, et c’est François Timoléon qui raconte l’incident dans ses Mémoires où il rebaptise le duc de Montausier du sobriquet de « Rabat Joie « .
Portrait de Charles de Sainte Maure duc de Montausier par Nicolas de Largillière
A sa vue, le duc, austère et pince sans rire, le toise de la tête au pied et lui dit :
« J’avoue Madame ou Mademoiselle (je ne sais pas comment il faut vous appeler), j’avoue que vous êtes belle, mais en vérité n’avez vous point de honte de porter un pareil habillement et de faire la femme, puisque vous êtes assez heureux pour ne pas l’être ? Allez, allez vous cacher, monsieur le dauphin vous trouve fort mal comme cela ».
Le Dauphin, (il est âgé de neuf ans) ne comprenant pas, répliqua qu’il trouvait la dame, « belle comme un ange ». Vexé, humilié, car le duc de Montausier possède une voix de stentor, et tout le monde l’a entendu, François Timoléon quitte l’Opéra, et rentre chez lui. En se démaquillant devant sa glace, sentant toujours sur celui le regard hautain, méprisant et désapprobateur du très influent gouverneur du fils de Louis XIV, François Timoléon résolut de se faire oublier quelques mois en province. La réaction indignée de ses deux frères à la suite de cet incident, et les reproches de ces derniers accéléra sa décision. Il décida de partir en reconnaissance dans le Berry, province qui ne le connaissait pas, et plus précisément à Bourges.
La ville de Bourges dans le Cher
Arrivé incognito, la ville lui plut immédiatement, et il se mit en chasse d’une demeure à acheter. On était alors en mars 1670, et le château de Crespon à quelques lieues de la ville de Bourges était à vendre : c’était une demeure batie depuis vingt ans vendue toute meublée : il y avait un parc de vingt arpents, un petit bois, un potager, des eaux plates et de bonne murailles. François Timoléon fit agir son notaire et il acheta le château sous le nom de comtesse des Barres.
En effet, il partait en exil mais il avait bien l’intention de vivre cet exil habillé en femme. Il se fit passer pour une jeune veuve venue se retirer à la campagne pour y passer ses mois de veuvage. François Timoléon fréquenta les églises, habillée en veuve distinguée : son statut de veuve parisienne, son élégance, sa piété ne tarda pas à intriguer la noblesse locale qui bientôt lança des invitations à la jeune chatelaine du château de Crespon.
Il raconte :
« …A Bourges j’allais à la messe à l’église Cathédrale, c’était la messe des paresseuses. Toutes les belles de la ville y étaient et tous les galants. J’étais coiffée avec mes cheveux noirs à grosses boucles, mes pendants d’oreilles de diamants, une douzaine de mouches, un collier de perles fausses plus belles que les fines. D’ailleurs en me voyant tant de pierreries, on ne pouvait que croire que je ne voulais rien porter de faux. Ma coiffure était chargée de rubans jaunes et argent et garnie d’un bouquet de fleur d’oranger ce qui faisait fort bien avec des cheveux noirs. Des gants blancs, un éventail, un grand masque qui me cachait toutes les joues de peur de hâle. Je l’ôtais un moment lorsque je m’apercevais qu’on avait envie de me voir ce qui redoublait la curiosité. »
François Timoléon intégra petit à petit le cercle de la noblesse locale. Il se fit connaître auprès de M du Coudray, lieutenant général de la province. Il eut même un galant, un voisin, ancien mousquetaire du roi, tout émoustillé à la vue de cette jolie femme.
« …Mon corset de Marseille était fort rembourré par-devant pour faire croire qu’il y avait là de la gorge et effectivement j’en avais autant qu’une fille de quinze ans. On m’avait mis dès l’enfance des corps qui me serraient extrêmement et qui faisaient élever la chair qui était grasse et potelée. On me regardait tant et plus. Ma parure, ma robe d’argent, mes diamants, la nouveauté, tout attirait l’attention. … »
Déguisé en femme, fardée et pomponnée, François Timoléon au fil des mois, s’intégra complètement dans les cercles de la noblesse de Bourges. Il tomba très vite sous le charme d’une jeune adolescente, Melle de la Grise, âgée de quatorze ans. Il résolut d’en faire sa maîtresse. Peu méfiante, sa mère lui confia sa fille plusieurs jours dans la semaine, car, toujours en jouant son rôle de veuve, François Timoléon avait promis à la mère d’apprendre à sa fille l’art de se coiffer et de se farder à la parisienne. Ne se méfiant pas, la mère confia donc sa fille à Mme des Barres. Au bout de quelques semaines, François Timoléon de Choisy avait mis la jeune fille dans son lit et en avait fait sa maîtresse.
Tableau sur la galanterie par Fragonard
On se demande encore comment une jeune fille accoutumée à rencontrer une jeune femme a pu réagir en réalisant que sous cette robe se cachait un homme avec des désirs d’homme. Toujours est il que la jeune fille, chapitré par Mme des Barres ne se confia jamais à sa mère.
,,,, »Mademoiselle de la Grise fut troublée. Sous prétexte de lui montrer quelque chose sur le clavecin, je lui dis avec amitié qu’elle montrait trop sa gorge, que sa coiffure n’était pas de bon air. Elle avait trop de cheveux sur le front. Les boucles qui accompagnaient son minois l’offusquaient et cachaient ses belles joues. Il fallait la rendre savante en coiffure. Je n’avais jamais vu de plus joli corps. Une taille droite, de petites hanches, une gorge admirable, naissante, blanche comme neige, de petits traits, un beau teint, de petits yeux plein de feu, la bouche grande, les dents belles, les lèvres incarnates et rebordées, les cheveux blonds… Elle coucha la première dans mon lit. Je la tins longtemps entre mes bras, baisai sa gorge. Je lui fis mettre aussi la main sur le peu que j’en avais afin qu’elle fût encore plus rassurée que j’étais femme. La première nuit nous nous abandonnâmes à la joie sans sortir des bornes de l’honnêteté, ce qui est difficile à croire mais ce qui est pourtant vrai. « Je me suis défendu, me disait-elle un jour, comme j’aurais fait contre un homme. Je ne voyais qu’une belle dame et pourquoi se défendre de l’aimer ». Quels avantages vous donnent les habits de femme. Le cœur de l’homme y est, et d’un autre côté, les charmes du beau sexe nous enlèvent tout d’un coup et nous empêchent de prendre nos sûretés.. »
Puis, après le temps de la nouveauté, Mme des Barres se lassa de la jeune fille et encouragea la mère de celle ci à la marier au plus vite. La mère, reconnaissante des soins apportés à sa fille, écouta le conseil et maria sa fille (en larmes) à un voisin obscur Monsieur de la Goutes.
Quant à François Timoléon, lassé de la campagne, il revint à Paris en août 1672,
Désireux de poursuivre son travestissement, il prit cette fois une autre identité, celui de Madame de Sancy. Avec l‘héritage qui lui restait de sa mère auquel va s’ajouter l’héritage de son frère décédé (qui lui lègue 50 000 écus), il acheta une maison dans le faubourg Saint Marceau, dépendant de la paroisse Saint Medard.
Chaque dimanche, François Timoléon allait à l’église de Saint Medard habillé en femme du monde ; il raconte dans ses Mémoires
« j’avais une Stinquerque de Malines qui faisait semblant de cacher une gorge, j’étais bien parée, je présentais le pain béni et j’allai à l’offrande d’assez bonne grace ; et puis je quétai : ce n’est pas pour me vanter mais jamais on n’a fait tant d’argent à Saint Medard ».
Madame de Sancy avait alors un carrosse à quatre chevaux, un autre à deux, un cocher, un postillon, un valet de chambre, trois laquais, un cuisinier, une laveuse d’écuelles et un savoyard. Elle avait aussi un aumonier en sa maison. Concernant sa tenue de femme, François Timoléon portait toujours deux jupes, et voulait que ses manteaux soient retroussés et maintenus ainsi par de gros nœuds de rubans.
Son suprême bonheur est de s’entendre dire : « vous êtes belle comme un ange ». Pour maintenir une peau imberbe, le jeune homme (qui a alors presque trente ans) continue de frotter son cou tous les soirs avec de l’eau de veau et de la pommade de pieds de mouton. Sa pilosité n’ a pas résisté à ce traitement qu’il s’inculque depuis l’enfance.
Dans sa nouvelle demeure et dans son nouveau rôle, l’incorrigible François Timoléon tombe amoureux fou d’une jeune comédienne, Roselie. Il entame avec elle une relation qui sera la plus sérieuse de son existence : lorsque la jeune femme tombera enceinte de ses œuvres, il s’occupera de l’enfant (une fille) qu’il enverra au couvent pour l’éducation et qu’il mariera lorsqu’elle aura seize ans. Mais la naissance de cet enfant va briser le couple qu’il fait avec Roselie, celle ci ayant peut être perdu ses attraits ou peut être tout simplement par lassitude,
Madame de Sancy se débarrassera de Roselie, et l’encouragera à se marier au premier comédien venu demander sa main. Exit Roselie !
L’incorrigible séducteur toujours sous le déguisement de Madame de Sancy va séduire une jeune voisine, une dénommée Charlotte, âgée de seize ans. François Timoléon aura la fantaisie d’habiller Charlotte en homme (il lui coupe les cheveux), et de l’appeler Monsieur de Maulny.
Bientôt on croise dans le quartier ce couple étrange, lui habillé en femme, et elle habillée en homme, et personne ne relève la supercherie. François Timoléon provoquera même une pseudo cérémonie de mariage où chacun échange des vœux et des bagues. Mais bientôt, François Timoléon devient jaloux de Charlotte : en effet, elle reçoit plus de compliments lorsqu’elle s’habille en homme, que lui lorsqu’il s’habille en femme. Et cela lui est insupportable : François Timoléon est un narcissique : il ne supporte pas la concurrence. Très vite, il rompt avec Charlotte (en pleurs) qui finit par épouser un bourgeois. François lui constitue même une dot.
Dans ses Mémoires, François Timoléon expliquent qu’une fois mariées, ses anciennes conquêtes ne l’intéressent plus : une fois mariées, il les raye de sa mémoire :
« je ne songeais plus à elle, une femme mariée ne m’était plus rien, le sacrement du mariage effaçait tous ses charmes ».
La dernière de ses conquêtes est une certaine « Babet » qu’il rebaptisera « Dany » : celle là aussi il s’en lassera rapidement : la pauvre Babet finira religieuse.
Portrait par Baciccio de Emmanuel Théodose de la Tour d’Auvergne, cardinal de Bouillon en 1669
Et puis bientôt François Timoléon se lasse de son rôle et reprend contact avec ses amis de jeunesse : l’un d’eux, en 1676, lui propose de partir à Rome avec lui. Il s’agit du cardinal de Bouillon qui monte sa maison. François Timoléon se met à apprendre la langue italienne et part dans les bagages du cardinal avec la perspective de pouvoir rencontrer le pape. Il va vite s’ennuyer à Rome (il a du renoncer à ses habits de femme) mais il va découvrir ce qui deviendra très vite son poison et son vice : le jeu. Déjà sa mère avait perdu beaucoup d’argent sur les tables de jeu, François Timoléon de Choisy n’aura pas la force nécessaire pour résister au démon de cette époque.
« le jeu qui m’a toujours persécuté, m’a guéri de ces bagatelles pendant plusieurs années, mais toutes les fois que je me suis ruiné et que j’ai voulu quitter le jeu je suis retombé dans mes anciennes faiblesses et je suis redevenu femme »
En 1682, il revient à Paris quasiment ruiné. Il se retire à l’abbaye de Sainte Seine qui lui rapportait 6 000 livres depuis 1663 : Sainte Seine étant en Bourgogne, il se lia d’amitié avec un célèbre exilé, Bussy Rabutin, qui lui conseillera d’user de sa plume car il possède un style bien à lui. François Timoléon reprendra cette idée mais plus tard. En 1684, revenu sur Paris, il tombe gravement malade. Les médecins lui donnent à peine deux semaines à vivre, il est aux portes de la mort. Souffrant, délirant, François Timoléon voit alors défiler toute sa vie, et sent le gouffre de l’enfer s’ouvrir sous ses pas. A l’âge de quarante ans, il a une révélation et redécouvre sa foi en Dieu. Guéri, mais affaibli, il décide de se retirer au séminaire des Missions étrangères rue du Bac à Paris, et entre en dévotion.
En mars 1685, un de ses compagnons d’étude et ami d’enfance, le chevalier de Chaumont, lui propose de l’accompagner au royaume de Siam auprès du roi Narai afin de l’évangéliser. L’abbé de Choisy accepte.
Il embarque à Brest pour un périple de plusieurs mois. C’est là bas qu’il sera ordonné prêtre. François Timoléon, abbé de Choisy va commencer à écrire tout ce qu’il voit dans des carnets de voyage : les animaux, les mœurs des autochtones, la flore. Le roi de Siam finalement ne se convertira pas au catholicisme, mais lorsque l’abbé de Choisy revient en France, il rassemblera ses souvenirs et publiera son récit dans un livre« Journal de voyage au Siam ».
Le Journal du voyage de Siam par abbé de Choisy
Le roi Louis XIV le lira avec délectation. Petit à petit l’abbé de Choisy fait partie des courtisans qui viennent à Versailles. Outre la protection de Monsieur, qui n’a jamais cessé de le choyer, il rencontre des hommes d’église influents tels que Bossuet. L’abbé de Choisy se met à l’écriture et sa plume lui permet en aout 1687 d’entrer à l’Académie Française. Il collabore avec Charles Perrault sur la rédaction des « Opuscules » de la langue française. Il reçoit du roi en 1689 le bénéfice du prieuré de Saint Benoit du Sault, et entreprend d’écrire ce qui sera sa plus grande œuvre « Mémoires pour servir l’histoire de Louis XIV ». Puis il va s’atteler à écrire des travaux historiques de grande ampleur : notamment une « Histoire de l’église » en 11 volumes, vivement encouragé par Bossuet.
Histoire de l’Eglise par abbé de Choisy
Madame de Maintenon (l’épouse morganatique de Louis XIV) fait appel à lui pour rédiger des textes à la manière de contes de fées d’édification religieuse pour son institution de jeunes filles à Saint Cyr. En 1698, toujours à court d’argent (il joue de grosses sommes de jeux à Versailles) il vend le château de Balleroy à la princesse d’Harcourt, née Françoise de Blacas. En 1710, à l’âge de soixante six ans, et à la demande d’une amie, (la marquise de Lambert), il accepte d’écrire ses mémoires de jeunesse et ses aventures lorsqu’il était déguisé en femme : il intitulera ses Mémoires : « Mémoires de l’abbé de Choisy habillé en femme».
Sulfureuses, ces « Mémoires » circuleront d’abord dans certains cercles avides de ce genre de lecture. A la mort de Louis XIV, en 1715, les Mémoires de l’abbé de Choisy feront fureur auprès du régent Philippe d’Orléans (fils de son défunt ami Monsieur) et de ses roués. En effet, dans ce récit, l’abbé de Choisy ne s’embarrasse pas de pudeur, ni de remords, lorsqu’il décrit ses relations charnelles avec des jeunes filles innocentes (Roselie, Babet), alors qu’il est lui même habillé en femme. Le pseudo érotisme des récits feront sensation. Il a alors près de quatre vingt ans, et dans son intérieur, il faut s’imaginer cet abbé, vêtu de vêtements féminins (et oui, il continue de porter jupes et jupons) s’atteler à la vie des Saints et relater la vie de Sainte Marthe.
C’est en 1724 qu’il meurt chez lui de vieillesse à l’âge de 79 ans. Il aura léguer ses œuvres à l’un de ses petits neveux le marquis d’Argenson.
Portrait de René Louis de Voyer de Paulmy marquis d’Argenson (1694-1757)
Ce dernier décrira l’abbé de Choisy ainsi :
« il a de l’esprit et de la mémoire, une conversation intéressante et curieuse, mais il s’est toujours senti de son éducation efféminée et n’étant plus d’âge à s’habiller en femme, il ne s’est jamais trouvé capable de penser en homme. »
L’abbé de Choisy se décrivant lui même se montrera plus indulgent :
« Une dame qui a tout l’esprit du monde a dit que j’avais vécu 3 ou 4 vies différentes : homme, femme, toujours dans les extrémités, abimé dans l’étude ou dans les bagatelles, estimable par un courage qui mène au bout du monde, méprisable par une coquetterie de petite fille et, dans ces états différents, toujours gouverné par le plaisir… »
La Gazette de France relatera ainsi son décès :
« le 14 octobre 1724 : François Timoléon de Choisy prieur de Saint Lo de Rouen, de Saint Benoit du Sault et de Saint Gelais, doyen de l’Académie Française, et ci devant doyen de l’église de Bayeux, meurt à Paris à l’age de 79 ans ».
Sources :
-
« Mémoires de l’abbé de Choisy habillé en femme » par l’abbé de Choisy.
-
« Tricheur de sexe » de Hervé Castanet.