Née le 11 juillet 1750
Morte le 8 juillet 1842 à St Anne’s Hill, Chertsey, Devonshire
On sait peu de choses des humbles origines d’Elizabeth Armistead : on sait que son père était cordonnier et qu’elle était née Elizabeth Crane le 11 juillet 1750 (elle prendra plus tard le nom d’Armistead lorsqu’elle entamera sa carrière de courtisane).
Portrait en 1784 d’Elizabeth Armistead par Joshua Reynolds
Très jeune, elle décida de tenter sa chance à Londres, et sa beauté lui permis de servir de modèle à un coiffeur, qui avait accès aux loges des théâtres londoniens pour y coiffer les actrices de l’époque.
Elle réussit à approcher les actrices de Drury Lane, en les aidant dans les coulisses à enfiler leurs robes. En cotoyant ce monde coloré et chatoyant, elle eut l’occasion de remarquer l’afflux des gentlemen dans les coulisses, après la représentation, à l’affût d’une nouvelle maîtresse à entretenir. Elizabeth comprit alors très vite que son métier de modèle n’allait pas la mener bien loin, mais qu’en devenant une courtisane reconnue et recherchée, elle pourrait enfin gravir les échelons, et mener la vie dont elle rêvait.
Heureusement pour elle, sa beauté et sa poitrine généreuse finirent par attirer l’attention. Non pas d’un lord anglais, mais d’une tenancière de bordel qui fréquentait les théâtres pour recruter ses nouvelles filles, parmi les actrices de troisième rôle qui peinaient à finir les fins de mois. Elle finit par repérer la toute jeune Elizabeth, et réussit à la convaincre qu’une carrière dans la galanterie lui rapporterait plus d’argent que ses maigres gages en tant que modèle et domestique des actrices. D’autant qu’Elizabeth avait essayé (mais sans succès), de jouer quelques rôles dans des pièces sans grand intérêt.
Portrait de Mary Robinson (une des rivales d’Elizabeth dans le cœur du prince de Galles) en 1782 par John Hoppner
Elizabeth, qui peinait à joindre les deux bouts, se laissa convaincre, et se lança dans une carrière, où les hommes sauraient se montrer généreux vis-à-vis d’elle. Intelligente, elle finit par décrocher un riche protecteur, et à fuir le bordel : c’est à cette époque qu’elle abandonna son nom de Crane pour prendre le nom d’Armistead, afin de protéger sa famille et de brouiller les pistes.
De petite prostituée, Elizabeth finit par devenir une courtisane recherchée. Non contente d’être très belle, elle avait le don d’apprendre et une soif sans fin pour tout ce qui était étranger. Elle se passionna bientôt pour les langues étrangères, et entreprit d’apprendre le français et l’italien. Sa conversation s’affina, et elle réussissait à retenir l’attention des hommes qui la recherchait, plus pour son intelligence que pour son physique. De plus, elle possédait un atout que ses rivales en galanterie ne possédait pas : elle ne s’attachait jamais sentimentalement avec ses clients : elle les recevait, passait la nuit ou quelques jours avec eux, se faisait payer, puis les chassait de son esprit. Jamais elle ne faisait de scène de larmes lorsque la liaison se terminait, et les deux partenaires se séparaient, chacun de son côté, sans cris, ni récrimination.
Elle était reconnue pour sa beauté et sa nature aimable. La plupart de ses amants était les roués les plus célèbres de son époque : des hommes à la recherche de plaisirs faciles, des joueurs effrénés, toujours à la recherche de la courtisane la plus recherchée du moment. Plus le tarif de la dame était cher, plus les hommes la recherchaient pour avoir la gloire de l’avoir mis dans leur lit.
Ces hommes permirent à Elizabeth de se conforter dans son idée que l’amour n’était qu’une idiotie, que l’on ne trouvait que dans les romans. Elle utilisait les hommes comme les hommes l’utilisaient. Et quels hommes ! la liste de ses amants était impressionnante : John Frederick Sackville 3ème duc de Dorset, le duc d’Ancaster, Edward Stanley 12ème comte de Derby, le vicomte Bolingbroke, et bien sûr, elle finit par mettre dans ses filets le plus recherché de tous, le prince de Galles, le futur George IV.
Portrait de George IV, alors prince de Galles by Thomas Gainsborough en 1781
Les exploits tarifés d’Elizabeth lui permirent rapidement de s’acheter Armistead House, des carrosses, et une foule de domestiques avant l’âge de trente ans. En dix ans de vie de courtisane, elle avait réussi à accomplir son but : avoir une vie protégée du besoin, et des admirateurs riches qui prenaient soin d’elle.
Voici comment ses contemporains la décrivent : « elle était extrêmement belle, et elle était issue d’un milieu très pauvre ; son charme et son esprit lui avait permis de s’entourer des hommes les plus influents de son époque ; elle avait réussi à devenir riche sans cesser de mener une vie extravagante, et quand elle rencontra Fox, elle n’avait plus rien à prouver. Avec une beauté sans égale, et une réputation qui pouvait lui permettre d’ignorer tout mépris, elle était alors inattaquable. Elle connaissait les hommes, et les savait détecter leurs forces et leurs faiblesses bien mieux que toute femme de son temps».
L’un de ses amants en titre de l’époque, lord George Cavendish, après une nuit de débauche et d’ivrognerie, s’avisa de débarquer un beau matin chez Elizabeth, à Armistead House ; lorsque les domestiques de la jeune femme lui refusèrent l’entrée de la maison, il franchit la porte en force et se rendit droit à la chambre d’Elizabeth, bien décidé à débusquer le rival qui venait chasser sur ses terres. Chandelle à la main, il trouva Elizabeth en déshabillée dans sa chambre, et le prince de Galles caché derrière la porte. Lord Cavendish éclata de rire, fit une profonde révérence au futur Régent, et regagna son domicile en répétant l’anecdote à qui voulu bien l’entendre.
Or, le prince de Galles entretenait à l’époque une liaison solide avec Mary Robinson, la fameuse actrice qui venait de jouer « Perdita ». L’ironie était qu’Elizabeth avait été un temps la bonne à tout faire de Mary Robinson, au théâtre, où celle-ci était l’actrice vedette, quelques années auparavant.
Portrait de Charles James Fox par John Opie en 1800
Jalouse comme une tigresse, Mary Robinson fit une scène terrible au prince de Galles : elle pleura, cria, et lui reprocha d’être infidèle. Bien sûr, les journaux de l’époque apprirent la rivalité des deux femmes, et relayèrent avec enthousiasme le duel secret des deux courtisanes. Mais le prince de Galles (qui était de plus un véritable panier percé), n’aimait pas les scènes, ni le scandale : las de la publicité, il se détourna d’Elizabeth et de Mary Robinson, pour engager une nouvelle liaison avec une superbe écossaise rousse, Grace Dalrymple.
Pas dépitée pour autant, et peut être secrètement ravie de s’être débarrassé d’un protecteur aussi peu généreux (les cordons de la bourse du prince étaient toujours résolument serrés), Elizabeth Armistead se mit en chasse d’un nouveau riche protecteur. Et pour ne pas perdre une occasion de snober sa rivale, Mary Robinson, elle entreprit de prendre dans ses filets l’un des amoureux éconduits de cette dernière, le puissant politicien Charles James Fox. En effet, malgré la cour empressée de Fox, l’actrice n’avait jamais voulu laisser la moindre chance à ce dernier. Elle le trouvait gros, gras, et peu intéressant. Qu’importe ! Elizabeth, elle, s’intéressa au personnage, et quel personnage !
Charles James Fox possédait un extraordinaire talent politique : précoce, à l’âge de vingt et un ans, il avait été nommé à l’Amirauté ; il devint chancelier du Trésor en 1772, deux ans plus tard. Contraint de se retirer du gouvernement en raison de différents qui l’opposaient à George III (père du prince de Galles), il était allé rejoindre le groupe des Whigs pour devenir l’un des principaux orateurs du Parlement. En 1782, Charles James Fox venait de retrouver sa place au gouvernement et avait été nommé ministre des Affaires Etrangères. Au moment où il rencontre Elizabeth, il vient de participer en 1783 au traité de paix avec les colonies américaines qui s’appellent dorénavant les Etats-Unis d’Amérique, et a mis fin à la guerre avec ces derniers.
Portrait d’Elizabeth Armistead, devenue Mrs Fox ( par Joshua Reynolds en 1795)
Si personne ne pouvait nier à l’époque l’intelligence politique de Fox, son physique d’homme obèse n’avait rien pour séduire la belle Mary Robinson qui venait pendant plusieurs mois de repousser ses avances. Dépité, mais intrigué par les regards chaleureux de la rivale de cette dernière, Charles Fox se tourna alors vers les bras généreux d’Elizabeth Armistead.
Fox n’était autre que le fils de Caroline Lennox (arrière petite fille de Louise de Kéroualle, maîtresse du roi Charles II) dont l’histoire a été relatée dans les « Scandaleuses » du webzine de mars 2011, n° 40.
Ses parents avaient connu un mariage heureux et sans nuages (sa mère s’étant enfuie pour épouser son père), mais Fox n’envisageait nullement de tomber amoureux. Curieusement, ce fut Elizabeth qui, la première, tomba amoureux de cet homme au physique ingrat, mais à la personnalité charmante. Plus étonnant, il apparut bientôt aux yeux de la jeune femme, que le politicien était lui aussi tombé amoureux d’elle. Après des années de débauche passées à boire, à jouer, à courir après tous les jupons du moment, Fox venait enfin de trouver la femme de sa vie.
Lorsqu’ils se rencontrent, Elizabeth et lui ont le même âge (trente trois ans) mais Charles Fox est usé prématurément par sa vie d’excès en tout genre.
De plus, toutes ces années de débauche ont profondément entamé son capital financier, et Fox a du mal à entretenir Elizabeth Armistead, dans le train de vie auquel elle est habituée. Son père, Lord Holland (le mari de Caroline Lennox) avait du payer 120 000 livres pour payer les dettes de Charles James (l’équivalent de nos jours à 11 millions de dollars !) : en 1781 et en 1784, Charles James Fox avait même fait banqueroute.
Mais ces détails n’ont bientôt plus court dans l’esprit de la jeune femme : Elizabeth réfléchit longuement avant d’agir, et finit par suivre les inclinaisons de son cœur. Finalement, ses dix ans de vie de courtisane lui ont permis de mettre une jolie somme de côté, et elle n’a pas vraiment besoin de l’argent de Fox. Après quelques semaines d’une liaison intense, Elizabeth Armistead consent en 1783 à entrer dans une relation monogame avec Fox, et à n’avoir que lui comme amant.
Il semble qu’elle eut cependant un moment d’hésitation, et Fox s’empressa de lui adresser la lettre suivante :
….Non, ma chère Liz, tu ne dois pas t’en aller, tu ne le dois pas… la seule pensée de vivre sans toi me plonge dans un tel désespoir que je suis sur que la réalité serait encore plus insupportable à vivre… j’ai analysé ma vie présente et je sais que je peux renoncer à mes amis les plus chers, voire mon pays, mais je ne peux pas vivre sans Liz ; je pourrais changer mon nom et vivre avec toi dans un pays lointain dans la pauvreté et l’obscurité, je pourrais supporter tout cela, mais être séparé de toi, ça, je ne le peux pas…
A la réception de cette lettre, Elizabeth vend sa maison de Londres, et emménage pour toujours à Queen Anne’s Hill à Chertsey (qu’elle pourra acheter plus tard avec l’aide du duc de Marlborough).
La décision d’Elizabeth comble son amant :
“Vous représentez tout pour moi. Vous pouvez toujours me rendre heureux en toutes circomstances, même les plus déplaisantes ou les plus misérables… il est vrai, mon cher ange, que mon bonheur ne dépend que de vous » lettre de Charles James Fox à Elizabeth Armistead le 7 mai 1785.
Elizabeth Vassal, lady Holland, épouse du neveu de Charles James Fox, refusera de recevoir Elizabeth Armistead, malgré son propre passé scandaleux
Elizabeth était non seulement la maîtresse de Fox, mais aussi son amie. Elle était capable de calmer l’homme énergique qu’il était, et à le ramener à un rythme de vie plus raisonnable. De plus, elle était capable d’être une amie fidèle et nombre de ses anciens amants la soutiendront financièrement à la fin de sa vie lorsque Fox sera mort, tout en gardant les secrets de chacun. Dans ses nombreuses lettres adressées à Elizabeth, Fox revient souvent sur le fait qu’Elizabeth a sa confiance la plus complète. Il la traite d’égal à égal, et il est clair que la présence d’Elizabeth lui est bientôt indispensable. Elle est son âme sœur.
Le couple passe alors la plupart de son temps chez Elizabeth à Queen Anne’s Hill qui se trouve sur les hauteurs de Chertsey ; c’est un endroit charmant où la rivière Tamise borde le fond du jardin. Ironie du sort, le plus proche voisin d’Elizabeth est l’un des amis très chers de Fox, Richard Fitzpatrick, qui s’est installé à Sunninghill.
Queen Anne’s Hill devint la retraite campagnarde favorite de Fox, lorsqu’il souhaite fuir les tracas de sa vie politique. C’est ici que la vie maritale des deux amants prend forme : pour meubler leurs soirées, ils prennent l’habitude de se lire, l’un à l’autre, des romans en italien ou en français : ils jouent aux échecs (jeu dont Fox est un acharné), et ils aiment se promener dans le jardin, les bras enlacés, sans se soucier du monde extérieur.
Georgiana Spencer duchesse de Devonshire, amie fidèle de Fox, deviendra l’une des amies d’Elizabeth Armistead
De plus, Elizabeth prend grand soin de Fox : elle lui établit un emploi du temps régulier avec des repas à heures fixes, et diminue peu à peu sa consommation d’alcool journalière. Ils vivent une vie domestique simple, mais heureuse, qui surprend nombre de leurs amis intimes. La seule discordance du couple concerne la musique : Elizabeth aime passionnément la musique, alors que Fox s’en désintéresse. Le soir, Elizabeth aime lire à haute voix les romans à la mode, et Fox se prend lui aussi au jeu, et lui lit les romans de poésie qu’il affectionne particulièrement. Lorsqu’ils sont à Londres, et que Fox doit se consacrer aux sessions du Parlement, elle l’aide en écoutant ses discours, tout en reprisant ses chemises. La maison de Fox à Londres est le point de rassemblement de tous les politiciens du parti des Whig : lord Holland, le neveu de Charles James Fox, est un visiteur fréquent de la maison de son oncle.
Fox consent souvent à ce qu’Elizabeth parte de temps en temps en voyage, pour de courtes vacances, mais jamais pour très longtemps : elle prend alors l’habitude de prendre les eaux à Bath pour un début de rhumatisme. De plus, la vie avec Fox est compliquée pour Elizabeth : elle est autorisée à le rencontrer en public, en promenade à Hyde Park, au théâtre, ou bien lors de son shopping. Mais elle ne peut aller avec lui à des dîners de société en tant que sa compagne attitrée, sauf s’il s’agit de bals masqués, où l’étiquette lui permet enfin d’être au bras de l’homme qu’elle aime.
Le monument funéraire de Charles James Fox dans l’abbaye de Westminster
Même s’ils sont totalement dévoués l’un à l’autre, Fox est toujours considéré comme un bon parti puisqu’aux yeux de tous, il est célibataire. Même s’il est un cadet de famille, certains banquiers de la société londonienne, comme Thomas Coutts, espèrent vivement qu’il se mariera à l’une de ses filles, une dénommée Fanny, dont la dot fabouleuse aurait pu résoudre ainsi tous ses problèmes financiers. Elizabeth, très lucide, se propose un jour de s’effacer pour que Fox puisse enfin se marier. Mais il refuse qu’elle le quitte, et lui écrit cette lettre passionnée :
…Je ne pourrais jamais être heureux sans toi, et tu m’as promis d’être toujours là pour moi. Ceci est un fait et si tu m’aimes, je serai heureux, si tu ne m’aimes pas, je serai alors misérable, mais si je suis avec ma Liz, je ne pourrai jamais me séparer d’elle. Répète moi encore, mon tendre amour, que tu m’aimes tendrement et pour toujours, car c’est toujours une joie pour moi de te l’entendre dire et de le lire, de plus, tu m’aimes comme je t’aime, ma chère Liz, n’est ce pas ?…
C’est seulement après la campagne acharnée du banquier Coutts qui désire l’avoir pour gendre, que Fox se décide en 1795 à épouser sa très chère Elizabeth. Des courtisanes de Londres avaient déjà montré l’exemple en se mariant à leurs protecteurs : Kitty Fisher, par exemple, avait épousé l’un des membres du Parlement, et s’était retirée à la campagne jusqu’à sa mort (Kitty Fisher est évoquée dans le webzine de juin 2010, n° 32 consacré à Maria Gunning, sa rivale amoureuse).
Epouser Elizabeth ne lui garantissait nullement que les portes de la haute société s’ouvrirait pour elle, et qu’elle serait reçue comme l’épouse de Fox ; de plus, Elizabeth s’inquiétait de l’avenir, persuadée que Fox finirait par regretter de l’avoir épousé, mais il trouva les mots justes pour lui assurer qu’après douze ans de vie commune, son amour pour elle était plus solide que jamais.
C’est ainsi qu’ils se marièrent, mais Elizabeth insista pour que le mariage demeura secret : le mariage eut lieu le 28 septembre 1795 à Wyton, Huntingdonshire.
Le mariage ne sera révélé au public qu’en 1802 après que le couple eut projeté de faire un long voyage en France pour permettre à Fox de rédiger une biographie sur le roi James II (le frère de Charles II, et donc l’un de ses ancêtres). Fox souhaitait ainsi réparer l’injustice faite à Elizabeth lors d’un précédent voyage à l’étranger, où des voyageurs anglais avaient ignoré délibérément la jeune femme lors d’une rencontre. Le fait qu’ils fussent maintenant mariés allait permettre à la jeune femme de pouvoir prétendre à partager une conversation, sans se sentir mal à l’aise avec ses compatriotes.
Pour une fois, les relations anglaises et françaises étaient au beau fixe, et le couple put s’embarquer pour Paris, pour y rejoindre notamment le neveu de Fox, lord Holland qui appréciait beaucoup Elizabeth : malheureusement, la nouvelle épouse de ce dernier, Elizabeth Vassall, décida de snober la jeune femme. La réputation de Lady Holland n’était pourtant pas sans tâche : elle avait été mariée auparavant, et était devenue la maîtresse de Lord Holland avant de tomber enceinte de celui-ci, ce qui l’avait amené à divorcer de son époux, et à épouser son amant dans la foulée. Femme adultère, elle se considérait cependant au dessus d’une courtisane comme Elizabeth Armistead. De plus, le succès grandissant de celle-ci dans la société parisienne l’irritait grandement. D’autant qu’Elizabeth, connue maintenant aux yeux de tous comme Mrs Fox, allait être présentée formellement à Napoléon et à sa femme Joséphine.
Pour ne pas créer de problèmes supplémentaires avec les Holland, Elizabeth choisit au dernier moment d’invoquer le prétexte que sa robe de présentation n’était pas prête, pour éviter de causer un embarras à lady Holland, qui devait être présente à la cérémonie. Cette dernière n’eut donc pas lieu.
De retour à Londres, et le mariage ayant été rendu public, la famille de Fox accueillit Elizabeth plutôt favorablement : son jeune frère Fox et son épouse ainsi que leur fille Elizabeth vinrent aussitôt rendre visite à Elizabeth Armistead. La comtesse douairière de Leinster (Emily Lennox, sœur de la mère de Charles James Fox) vint elle aussi à la résidence de son neveu pour rencontrer son épouse.
Les grandes hôtesses du moment qui supportaient le parti des Whig, comme Lady Bessborough, ou la duchesse de Devonshire acceptèrent Elizabeth dans leurs soirées mondaines.
Emily Lennox, duchesse de Leinster, tante de Charles James Fox (par Joshua Reynolds en 1770)
En 1806, Charles James Fox devint ministre des Affaires Etrangers dans le nouveau gouvernement de lord Grenville. Ses années de dissipation étaient bien terminées : Fox se lança dans le travail avec zèle, à l’age de cinquante sept ans. Il avait deux objectifs en tête : sécuriser la paix avec la France et abolir l’esclavage des noirs. Alors que le travail de Fox l’entraînait à travailler jusque tard dans la nuit, Elizabeth, en tant qu’épouse du ministre, devait elle aussi se lancer dans une myriade d’activités : elle devait rendre les visites qu’on leur donnait, organiser des dîners de travail entre Fox et ses collègues, et tenter le mieux possible de préserver la santé de Fox qui commençait à décliner.
En effet, Fox commençait à souffrir des jambes qui se mirent à enfler de façon alarmante. Il dut se résoudre à se déplacer en chaise roulante, à cause de crises de goutte lancinantes.
Elizabeth décida de lancer son premier souper et son premier bal officiel : les cartons d’invitation furent lancés, et son ami, le duc de Bedford lui proposa sa résidence, Bedford House, comme cadre de réception. Les tapissiers du prince de Galles (ancien admirateur d’Elizabeth, et ami de Fox) vinrent retapisser de neuf les salons somptueux. Morte d’angoisse, Elizabeth au soir du bal put pousser un soupir de soulagement : plus de quatre cent personnes avaient répondu à son invitation et s’étaient bousculés pour assister à son bal, ce fut un immense succès.
Malheureusement, la santé de Fox continua de décliner : quelques uns de ses amis proposèrent son élévation au titre de pair du royaume, ce qui lui aurait permis d’aller à la chambre des Lords, plutôt qu’aux séances du Parlement, dont les séances nombreuses l’obligeaient à se déplacer souvent, mais Fox refusa avec véhémence. C’est à la chambre des Communes qu’il avait construit sa carrière, c’est là qu’il la terminerait.
C’est en septembre 1806 que Fox tomba gravement malade ; pour ces derniers instants, ces derniers mots furent pour sa chère Liz, qui se tenait à son chevet. Il aurait aimé être enterré à Chertsey (près de leur maison de campagne) mais les autorités décidèrent de l’enterrer dans l’abbaye de Wesminter (le jour de l’anniversaire de son élection au Parlement) le 10 octobre 1806.
Quant à Elizabeth, elle devait lui survivre trente six années, et elle mourra en juillet 1842 à l’âge de 92 ans dans sa résidence de Queen Anne’s Hill. Elle fut enterrée dans le village voisin de Chertsey. Jusqu’à ses derniers jours, elle fut entourée chaleureusement par la famille de Fox et de nombreux amis. Le jour de sa mort, les commerçants de Chertsey fermèrent leur échoppe et suivirent le cortège funèbre jusqu’au cimetière de l’église St Peter de Chertsey. La maison qu’elle partagea avec Fox, Queen Anne’s Hill, fut démolie entre 1918 et 1939, il n’en reste plus rien.
Tristement, Elizabeth n’avait jamais pu donner d’enfants à son cher Charles. Il semble qu’elle eut cependant un fils illégitime prénommé John Armistead, né en 1784 à Brighton, et mort en Espagne en 1813. Son père semble avoir été l’un des amants d’Elizabeth avant sa rencontre avec Fox : peut être lord George Cavendish (futur comte de Burlington) ?
Quant à Fox, il avait eu deux enfants naturels avec des femmes de condition modeste, et avait contribué à leur éducation : un fils, Henry (qui était sourd de naissance) et une fille, Harriet, (qui était mentalement déficiente).
Inséparables dans la vie, Elizabeth Armistead et Charles James Fox furent cependant séparés dans la mort : lui ayant bénéficié du caveau des rois d’Angleterre, elle, reposant dans le cimetière du village qui avait accueilli son bonheur et ses dernières années…
Ayant un passé de courtisane, Elizabeth ne put reposer auprès de son époux dans la vénérable abbaye de Westminster…