Letitia Derby, lady Lade (1756-1825)

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letitiaderby3Letitia Derby par Daniel Gardner en 1787

Née en 1756 à Rowley Regis (Staffordshire)
Décédée le 5 mai  1825 à  Egham (Surrey)
Enterrée à St Mary’s, Staines, Surrey (Great London)

 Letitia Derby naquit en 1756 à Rowley Regis dans le Staffordshire. Elle était la fille ainée de Joseph Derby et de son épouse Mary. Elle eut deux sœurs Phillis et Ann, ainsi que trois frères : August, Edmond et Joseph.

Très tôt, la famille eut d’énormes soucis financiers et s’installa à Drury Lane à Londres. Il est vraisemblable que le père mourut très tôt car à l’âge de quinze ans, la jeune Letitia trouva un emploi de servante dans un bordel de Londres : elle faisait des courses pour les prostituées de la maison close, changeait les draps, et les pots de chambre. C’était alors une jolie blonde aux yeux bleus, de grande taille et svelte. Plus tard ses contemporains la décriront comme « une grande femme d’un mètre quatre vingt, sans ses chaussures“.

 

A dix huit ans, elle rencontra son premier amoureux qui n’était autre que le bandit de grand chemin Jack Rann qui fréquentait le bordel où elle travaillait comme servante.

letitiaderby2 copieLetitia Derby par Daniel Gardner en 1787

De six ans plus âgé qu’elle, il était déjà l’un des criminels les plus recherchés d’Angleterre. Il s’était fait connaitre pour son esprit et son charme : il avait pris l’habitude de porter seize bandes de tissus sur la soie de ses genouillères, d’où son surnom de Jack « Sixteen String » (seize bandelettes) Rann.

Né près de Bath dans le Somerset, il avait servi adolescent comme postillon, puis comme conducteur de carrosses à Londres. Il adorait les chevaux, et communiqua bientôt à Letitia son amour des équidés. Jack Rann aimait les beaux costumes, et très tôt il fut bientôt perclus de dettes, c’est ainsi qu’il sombra dans le banditisme : il commença à être pick pockets (il volait des montres), puis il devint bandit de grand chemin.

highwayman3-British-Museum-224x300Le bandit de grand chemin Jack Rann, amant de Letitia Derby

Il fut arrêté six fois, mais il fut relâché par manque de preuves, ses victimes étant incapable de l’identifier formellement (apparemment il ne portait pas ses bandelettes aux genoux lors de ses attaques !). Mais sa coquetterie devint légendaire : lors de son jugement à Bow Street, il apparut devant le magistrat sir John Fielding avec un manteau orné de fleurs, et les épaulettes décorées de rubans bleus. Entre deux embuscades sur les routes de Londres, Jack Rann venait dépenser son argent à Londres, où il avait finalement trouvé un logement pour Letitia (qui avait quitté le bordel) et pour lui.

Malheureusement la chance insolente de Jack tourna très vite, il fut arrêté en 1774, alors qu’il venait de braquer le carrosse de la princesse Amelia (jeune sœur de George, le futur Régent) sur la route de Brentford, et qu’il venait de dépouiller son chapelain.

highwayman-5L’attaque de Jack Rann et sa capture

Il fut enfermé à la prison de Newgate, et fut condamné à la pendaison le matin du 30 novembre 1774. Letitia fut incapable de l’approcher avant son exécution, mais elle se joignit à la foule de Tyburn qui venait assister à la pendaison de son amant : pour sa dernière apparition, Jack Rann apparut dans un costume de couleur verte, et affublé d’une extravagante cravate. Le jeune homme plaisanta avec son bourreau et avec la foule, osa même danser quelques pas de de danse avant d’être mené à la corde et pendu haut et court. Il venait d’avoir à peine 24 ans, Letitia en avait alors 18.

Pendant dix ans, on va perdre la trace de Letitia jusqu’à ce qu’on la retrouve en 1785, en tant que modèle du peintre Joshua Reynolds qui exécutera d’elle un portrait où elle apparait sous le nom de « Mme Smith ». Ce portrait sera exposé à la Royal Academy de Londres et rencontrera un franc succès.

roglo_wLetitia Derby en “Mrs Smith” par Joshua Reynolds en 1785

Il est alors de notoriété publique que Mme Smith est la maitresse de Frederick Auguste duc d’York et frère cadet de George le prince de Galles et futur Régent (tous les deux fils ainés du roi d’Angleterre George III). Le duc d’York n’était pas encore marié, mais il collectionnait les aventures. Fine mouche, Letitia comprit très vite que ce fils de roi se lasserait vitre d’elle, qu’il fallait qu’elle trouve un futur protecteur.

Parmi les amis du duc d’York, elle avait rencontré à plusieurs reprises un riche héritier, sir John Lade 2ème baronet Lade. Il avait trois ans de moins qu’elle, et était le fils posthume de John 1er baronet Lade et de son épouse Anne Thrale.

frederichaugustusvanhannoverFrederick Auguste, duc d’York, amant de Letitia Derby par William Beechey en 1800

Cette dernière était la plus jeune sœur d’Henri Thrale, le plus riche brasseur de Londres. Sa dot colossale lui avait permis d’épouser le baronet Lade qui possédait des terres à Warbleton dans le Sussex où il tenait un haras qui avait une excellente réputation. Malheureusement, le 1er baronet Lade fera une chute de cheval dramatique alors qu’il chassait sur ses terres quelques mois seulement après son mariage : les médecins lui avaient coupé la jambe, mais une gangrène s’était installée causant le décès du jeune homme en avril 1759, alors que son épouse était enceinte de son premier enfant.

john ladeJohn Lade, 2ème baronet Lade, mari de Letitia Derby

C’est la famille d’Anne Thrale qui avait élevé le jeune orphelin. John Lade, 2ème baronet était donc riche, amusant, beau garçon, et il était aussi l’un des amis intimes de George le prince de Galles. C’était de plus un cavalier brillant, et un des meilleurs conducteurs d’attelage de son époque. Il aimait tellement les chevaux qu’il ne portait qu’une tenue de cavalier pour toutes les occasions : il portait l’extravagance jusqu’à arborer une cravache sur lui matin, midi et soir.

Lorsqu’il rencontra Letitia, il sut qu’elle serait son « âme sœur » : elle adorait les chevaux comme lui, et était une cavalière émérite, grâce aux leçons de son premier amant Jack Rann, et à son riche amant le duc d’York, qui était lui aussi un passionné d’équitation. John et Letitia devinrent très vite amants partageant leur passion commune, et bientôt, malgré la réprobation de sa famille, le 2ème baronet Lade épousa la jeune femme en 1787 : Letitia avait trente et un ans, John, vingt huit ans.

letitia_derby_by_george_stubbs_1785Letitia Derby, lady Lade, par George Stubbs en 1793

Le mariage fut une réussite pour les deux époux : ils avaient une multitude de points en commun, et notamment la dépense facile. La haute société eut du mal à accepter la jeune lady Lade, mais le prince de Galles qui trouvait Letitia fort à son goût, invitait souvent le couple lors de ses séjours à Brighton.

Fasciné par le charme et l’aplomb de la jeune femme, le prince de Galles commandera plusieurs tableaux d’elle en cavalière, au peintre George Stubb, dont un tableau réalisé en 1793, et qui figure maintenant dans la Royale Collection de la Reine. Dans ce portrait, son cheval se cabre, et elle le contient apparemment sans grande difficulté, alors même qu’elle monte une selle en amazone.

 George_Stubbs_Fighting_Stallions_1791Les portraits équestres de George Stubbs étaient une réussite (“étalons se combattan” en 1791)

Son mari lui apprenait chaque jour de nouvelles techniques de dressage, et l’encourageait à participer aux courses de Newmarket. Une année, elle paria qu’elle remporterait une course contre une autre femme et elle remporta la course haut la main, provoquant un énorme scandale au sein de l’aristocratie, qui ne tolérait pas les débordements extrêmes d’une jeune femme dont les origines demeuraient obscures. Elle avait en effet contre elle un langage plutôt vulgaire, qui ne passait pas lors des réunions mondaines auxquelles le prince de Galles conviait le couple.

george-stubbs-bay-malton-with-john-singleton-up-fine-art-equestrian-horseLes courses hippiques de Newmarket par George Stubb

En effet, Lady Lade qui fréquentait les écuries et les palefreniers jurait souvent comme un homme, et bientôt, en langage populaire, lorsqu’on disait de quelqu’un qu’il « jurait comme Lady Lade », on soulignait qu’il parlait comme un charretier. Bien évidemment son passé charnel de maitresse du duc d’York fut souvent mis en avant, et l’on chuchotait de Lady Lade qu’elle « était capable de soutenir l’assaut le plus féroce et de renouer le combat avec ardeur même quand sa victime n’en pouvait plus et s’écroulait à genoux devant elle ». De plus « elle ne tournait jamais le dos aux plus vigoureux des assaillants ».

Elle savait manier les chiens de meute, et était capable d’utiliser tous les termes des conducteurs de carrosses ; peu d’hommes étaient capables d’entrer en compétition avec lady Lade, même son mari finit par s’incliner devant elle.

georgeiv5George prince de Galles (futur Régent et George IV) en 1798 par William Beechey

Mais elle et son mari étaient des dépensiers extravagants. Ils durent à de nombreuses reprises se séparer de nombreux chevaux de race pour combler leurs dettes mutuelles.

Malheureusement en 1813, les créanciers parvinrent à jeter sir John Lade en prison pour dettes. En l’espace de quelques années, ce dernier avait réussi à jeter sa fortune aux quatre vents. Car si le baronet Lade adorait prendre lui-même les rênes de ses attelages, il se jetait aussi dans les courses de chevaux et dans les paris.

C’est ainsi qu’il acheta un superbe étalon gris nommé Medley, qui devait gagner onze courses de grand prix. Lorsque le cheval prit de l’âge, sir John Lade le revendit à Richard Tattersall, qui à son tour l’expédia en Virginie (en Amérique) où il sera l’un des étalons vedettes des chevaux de race pure qui subsistent encore de nos jours.

Les-CoursesUn phaeton au XVIIIème siècle

Mais le baronet Lade n’était pas si chanceux lorsqu’il pariait lors des courses de chevaux : ses pertes furent lourdes, et il faisait même des paris contre lui-même : il paria qu’il pouvait conduire son phaeton par-dessus une pièce de six sous, en ne faisant passer que le côté gauche de son équipage (et il gagna !) ou encore qu’il pouvait conduire un attelage de quatre chevaux à pleine vitesse dans l’espace confiné de Tattersall à Hyde Park Corner.

Inévitablement, ses dettes devaient le conduire en prison : en 1813, les créanciers obtinrent contre lui un séjour à la prison des débiteurs, la King’s Bench. Il lui fut cependant permis de vivre dans une maison en dehors de la prison principale, mais contigüe à celle-ci. Il lui fut formellement interdit de fréquenter les tavernes des alentours ou les théatres, et ses déplacements furent limités à un périmètre bien précis.

King's_Bench_Prison_-_Principal_Entrance_by_Thomas_Shepherd_c.1828.La prison de King’s Bench à Londres où l’on enfermait ceux qui avaient des dettes

Au grand étonnement de tous, lady Lade vint soutenir son mari dans son épreuve et emménagea avec lui : un grand nombre de leurs amis vinrent leur rendre visite, notamment lady Emma Hamilton (maitresse de l’amiral Nelson) qui était aussi en prison pour dettes. Les visites étaient plutôt joyeuses et le vin coulait à flot. Lors de l’une de ses fêtes, l’un des invités tenta de séduire lady Lade d’une manière brusque, la jeune femme répliqua en lui renversant le contenu d’une bouilloire d’eau chaude sur ses chausses.

eLib_3589334Emma Hamilton

Lady Lade était libre d’aller et venir comme elle le souhaitait (la prison pour dettes ne visait que son mari), mais elle resta loyale vis-à-vis de son époux. Cependant au bout de quelques mois, le couple peu habitué à voir sa liberté de mouvement restreinte, se mirent à espérer leur prochaine remise en liberté.

Plusieurs de leurs riches amis se cotisèrent pour les tirer de la prison. Certains se proposèrent pour plaider leur cause auprès de leur ami George, devenu le prince Régent, depuis la folie de son père George III. Le prince George ne fut pas un ingrat, et il paya les dettes du baronet Lade qui fut libéré en 1814.

george02-IVLe roi George IV par Thomas Lawrence

Pour assurer l’avenir du couple (il s’agissait aussi de vieux amis), le prince Régent nomma sir John Lade son « tuteur équestre officiel », avec un salaire annuel de 300 livres. Pour cacher ce salaire vis-à-vis de son gouvernement, le Régent écrira sur les bons à payer le nom du « réverend Dr Tolly » dont la véritable identité n’était autre que sir John Lade.

Mais en contrepartie de la générosité du Régent, le couple s’engagea à réduire son style de vie extravagant. Bien qu’ils continuèrent à assister à plusieurs courses de chevaux par an, ils ne misèrent plus un sou lors de ces évènements. Ils réduisirent leur séjour à Londres et demeurèrent la plupart du temps dans le Sussex, dans le haras que le 1er baronet avait monté.

Lorsque le Régent devint roi sous le nom de George IV, le couple Lade ne venait presque plus à Londres. Au fil des années le roi George IV resta un de leurs amis fidèles, même s’ils ne se voyaient que très rarement. Il continua à assurer à John sa pension annuelle et l’éleva même jusqu’à 500 livres par an.

C’est lady Lade qui partit la première en 1825, à l’âge de soixante neuf ans. Elle décèdera sur le domaine de son mari.

Geograph-1935052-by-Nigel-CoxEglise de St Mary à Staines où se trouve la tombe de Letitia Derby

Son mari lui succèdera jusqu’en 1838, vivotant des revenus de ses ventes de chevaux, et de la pension que les successeurs de George IV, (William IV et la reine Victoria) continueront de lui verser jusqu’à la fin de sa vie.

Hélas, John Lade 2ème baronet Lade et son épouse Letitia Derby n’avaient pas eu d’enfants. La seule postérité que laissera Letitia, sera les superbes portraits d’elle en amazone que réalisera le peintre George Stubbs.

On dit que le prince Régent commandera vingt cinq toiles représentant lady Lane ! dont l’une ornait sa chambre dans son palais fabuleux de Brighton. Les mauvaises langues veulent que « Prinny » (le surnom du Régent) ait fait de Letitia, sa maitresse dans les premières années de son mariage avec Lade.

220px-FridaysChild“Friday’s child” de Georgette Heyer

Il est plus vraisemblable que le Régent soit tout simplement tombé sous le charme de cette jeune femme volontaire, qui malgré ses origines obscures, avait réussi à s’élever dans l’aristocratie anglaise.

Georgette Heyer reprendra le personnage de lady Lade dans son roman « Friday’s child » portant à la postérité la vie de cette jeune femme étonnante de la Régence.

Sources :

– wikipedia.

 

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