Ekaterina Pavlovna Skavronskaia, comtesse Bagration, lady Caradoc (1783-1857)

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Екатерина Павловна Багратион

Portrait par Jean Baptiste Isabey

Fille d’honneur de la tsarine Maria Feodorovna (épouse de Paul 1er)

Née le 7 decembre 1783 à Naples (Italie)
Morte le 2 juin 1857  à Venise (Italie)
Enterrée au cimetière de San Michele à Venise

 

Ekaterina Pavlovna Skavronskaia naquit à Naples le 7 décembre 1783. Son père, le comte Pavel Martinovich Skavronsky était ministre plénipotentiaire de Russie à la cour de Naples. Sa mère était la fameuse beauté Ekaterina von Engelhardt, nièce du prince Gregory Potemkine, amant de l’impératrice Catherine II.

Ekaterina von Engelhardt et ses cinq sœurs furent amenées à la cour de Catherine II lorsque leur oncle devint le favori de l’impératrice. Outre qu’elles firent de très beaux mariages, la rumeur voulait qu’elles furent toutes la maîtresse de leur oncle à un moment ou à un autre. L’impératrice Catherine II (apparemment ignorante ou tout simplement repoussant cette rumeur) les combla toutes de bienfaits : elles eurent de larges dots à l’occasion de leurs mariages et devinrent dames d’honneur de l’impératrice.

Ekaterina von Engelhardt, mère de Ekaterina Skavronskaia par Elisabeth Vigée Lebrun en 1790

Les rumeurs de liaison de Ekaterina von Engelhardt avec son oncle commencèrent en 1779, mais ce n’est que le 10 novembre 1781 que l’impératrice Catherine II maria Ekaterina au comte Skavronsky, propre neveu de Catherine 1ère, seconde épouse de Pierre le Grand.

Il fut nommé ministre à Naples et emmena dans ses bagages sa jeune et jolie épouse qui devait donner naissance en Italie à deux filles : la première fut Maria Pavlovna Skavronskaia née en 1782, et la deuxième fut Ekaterina Pavlovna Skavronskaia (notre héroine) née en 1783.

A l’âge de dix ans, les deux fillettes furent orphelines de père : le comte Skavronsky mourut prématurément à 36 ans le 23 novembre 1793, et la mère de Ekaterina quitta l’Italie pour retourner vivre en Russie.

Портрет кисти А. Кауфман, 1787 год.

Pavel Skarvronsky , père de Ekaterina Skavronskaia en 1787

A l’âge de 15 ans, la jeune Ekaterina Pavlovna Skavronskaia devint l’une des demoiselles d’honneur de l’impératrice Maria Feodorovna, épouse de Paul 1er (fils de l’impératrice Catherine II) qui avait succédé à sa mère en 1796 sur le trône de Russie.

En 1798, la mère de Ekaterina retourna vivre en Italie, et se remaria avec le comte Giulio Litta, amiral russe : elle laissa sa fille cadette à Saint Petersbourg. La beauté naissante de cette dernière ne tarda pas à attirer sur elle l’attention d’un des familiers du tsar Paul 1er : le major général Piotr Bagration, qui était aussi qualifié d’homme le plus laid de la cour, tomba amoureux fou de la jeune Ekaterina.

Mais c’était un amoureux discret, il cacha son secret, et se contenta de dévorer la jeune fille du regard. Bagration avait 18 ans de plus que Ekaterina Skavronskaia, mais il était issu d’une famille princière qui avait régné pendant des siècles sur la Géorgie et l’Arménie. A seize ans, son père l’avait confié à une parente, Anne de Georgie, épouse du prince Boris Galitzine. Le jeune garçon avait intégré les rangs de l’armée russe et cinq ans plus tard il était colonel. En 1798, il fut nommé général major et était sous les ordres du feld marechal Souvoroff.

George Dawe - Portrait of General Pyotr Bagration (1765-1812) - Google Art Project.jpg

Piotr Bagration par George Dawe

A l’âge de 35 ans, Bagration avait déjà commencé une brillante carrière dans l’armée impériale russe dans la guerre contre les Ottomans, et dans la campagne de Pologne en 1794. Il venait de participer à la première campagne contre les français qui s’était déroulée en Italie et en Suisse, et il était promu à un brillant avenir dans l’armée russe.

Son éducation était celle d’un soldat, il parlait le russe, mais il ne savait pas l’écrire, et il ne connaissait rien à l’art de séduire les demoiselles. Mais son cœur de soldat battait dès lors qu’il rencontrait à la cour de Saint Petersbourg la très jolie Ekaterina Skavronskaia, qui était une jolie brune de 17 ans. Elle, elle ne le remarquait même pas, elle n’avait d’yeux que pour le superbe Paul von der Pahlen qui avait huit ans de plus qu’elle, et qui fréquentait assidûment Maria Skavronskaia sa sœur aînée, elle aussi fille d’honneur de l’épouse du tsar Paul 1er.

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Ekaterina Pavlovna, fille du tsar Paul 1er vers 1800

Pour corser encore plus ce chassé-croisé amoureux, la rumeur voulait que la propre fille du tsar Paul 1er, la jeune Ekaterina Pavlovna (sœur du futur tsar Alexandre 1er) était passionnément amoureuse du major général Bagration, et ce, malgré sa laideur  !

Lors d’une fête impériale dans le courant de l’été 1800, les évènements allaient s’accélérer pour la jeune Ekaterina Skavronskaia.

Au cours d’une conversation avec le tsar, Bagration laissa échapper qu’il était tombé sous le charme de la jeune Skavronskaia, mais qu’il était bien conscient qu’elle l’avait à peine remarqué.

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le tsar Paul 1er par Vladimir Borovikosky en 1800

Le tsar Paul 1er, connu pour son excentricité, va dès lors se faire le chevalier servant de Bagration : le tsar avait l’habitude de marier les membres de sa cour à sa fantaisie, et pour une fois, il entendit satisfaire les sentiments profonds du major général Bagration qu’il allait d’ailleurs élever au rang de prince dans les jours qui suivirent. Et pour souligner l’éclat de cette promotion, il annonça à la cour impériale, stupéfaite, qu’il avait l’intention de se présenter au mariage de Bagration avec la jeune et jolie Ekaterina Skavronskaia : c’est ainsi que les futurs époux apprirent qu’ils étaient destinés l’un à l’autre.

Ekaterina le prit très mal, elle n’avait eu aucun début de cour de la part de son futur mari qu’elle connaissait à peine, et qui d’ailleurs ne lui plaisait pas. Pour couronner son désespoir, Ekaterina apprit que sa sœur Maria allait, elle aussi convoler mais avec l’élu de son cœur, Paul von der Pahlen, quelques semaines après son propre mariage avec Bagration.

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La tsarine Maria Fedorovna, épouse de Paul 1er (par Elisabeth Vigée Lebrun vers 1790)

Ekaterina n’avait personne à qui se confier : son père était décédé, et sa mère remariée, vivait en Italie, et ses proches n’avaient aucune intention d’aller à l’encontre des désirs du tsar, qui était suffisamment versatile dans ses humeurs pour exécuter quiconque se mettrait en traviers de ses ordres et de ses désirs.

L’impératrice Maria Feodorovna, l’épouse de Paul 1er, qui était bonne et douce, avait compris la détresse de sa jeune demoiselle d’honneur, et tenta de lui redonner le moral en lui montrant les qualités indiscutables de son futur époux, qui était promis à une belle carrière militaire. Et puis, en tant que soldat, il ne serait pas souvent à la cour du tsar !

Le palais de Gatchina

Le 2 septembre 1800, le mariage eut lieu dans la chapelle du palais Gatchina à Saint Petersbourg : la mariée était magnifique, le marié était vêtu en militaire. Le général français Louis Andrault de Langéron, émigré français qui combattait dans l’armée russe contre les armées révolutionnaires françaises, était présent au mariage. Il relatera dans ses mémoires :

«  Bagration épousa la petite nièce du grand prince Potemkine. Cette épouse riche et toute jeune était mal assortie à son futur époux : Bagration était un simple soldat, avec le ton et les manières d’un soldat et il était extrêmement laid. Son épouse était aussi blanche de peau qu’il était tanné, et elle était belle comme un ange, brillante, et la plus vivante de toutes les beautés de la cour de Saint Petersbourg ; elle ne sera pas heureuse très longtemps avec un époux comme le sien… »

Les jeunes époux entamèrent une vie conjugale compliquée entre deux êtres que tout séparait. Bagration fut nommé commandant des chasseurs de la Garde Impériale du tsar, et quant à Ekaterina, elle reprit le chemin de la cour mais cette fois en tant que dame d’honneur de la tsarine Maria Feodorovna. Il ne semble pas que ce mariage forcé l’ait finalement rendu heureuse. Elle constata avec amertume que sa sœur semblait beaucoup plus heureuse avec celui qui avait été l’élu de son cœur. De plus, son époux était souvent absent, et elle s’ennuyait énormément dans ce mariage sans amour. Pour couronner le tout, une machination contre le tsar (menée par le père de son beau frère (Pierre von der Pahlen)) renversa le tsar Paul 1er pour mettre à sa place le fils de ce dernier, le futur Alexandre 1er.

Le tsar Alexandre 1er par Vladimir Borovikosky en 1800

Dans les jours qui suivirent ce coup d’état, le tsar Paul 1er (qui avait organisé le mariage de Ekaterina) fut assassiné le 12 mars 1801, soit six mois après le mariage imposé avec Bagration. Le règne du nouveau tsar n’apportait aucun changement dans la morne vie de la princesse Bagration. Elle voyageait beaucoup dans les villes d’eau afin de soigner sa santé fragile, toujours seule et toujours aussi belle, son mari étant rarement présent. Elle s’ennuyait mortellement de cette existence qui était de plus non couronnée d’un début de maternité.

C’est ainsi que trois ans après son mariage, Ekaterina Skavronskaia, princesse Bagration décida de quitter son mari et la Russie. Son mariage ne la rendait pas heureuse et le seul passe temps que les époux partageaient lorsqu’ils étaient ensemble à la cour, c’était leur addiction aux jeux de hasard. Bagration comme son épouse Ekaterina accumulaient les dettes de jeu à Saint Petersbourg.

De plus, Ekaterina n’avait pas été sans remarquer que la jeune sœur du tsar Alexandre 1er, la jeune Ekaterina Pavlovna fréquentait beaucoup sa maison, et semblait rechercher la présence de Bagration (quand il était présent) pour la bonne raison qu’elle l’aimait depuis toujours. Bagration a t’il succombé aux charmes de la sœur du tsar (qui était d’ailleurs très belle) et son épouse s’en était elle rendue compte ? En tout cas, pour la princesse Bagration trop c’est trop. Elle décida de partir au début de l’année 1804 dans le plus grand secret, et de se rendre en Italie où vivait sa mère.

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Portrait de la princesse Bagration par Isabey vers 1802

Au cours de ses nombreux voyages dans les villes thermales pour raisons de santé, elle avait fait aménager par le passé, un carrosse confortable qui contenait un lit entier à l’intérieur, ce qui lui permettait de voyager couchée. A l’extérieur, des sangles retenaient les bagages diverses, et la princesse montait par une échelle à l’intérieur de sa berline et elle en descendait par le même moyen. Elle donna un nom à son carrosse qu’elle baptisa le « dortoir ». Mais son plan d’aller en Italie s’interrompit lorsque démarrèrent les guerres napoléoniennes ; en fait, elle n’alla pas plus loin que Vienne, la capitale de l’Autriche, où elle s’installa confortablement : elle était âgée alors de 23 ans.

Évidemment à Saint Petersbourg, son époux, revenu des champs de bataille dans une demeure vide, tenta de la rappeler auprès de lui. Elle lui répondit qu’elle était souffrante, et que sa santé lui imposait de demeurer à Vienne pour des raisons médicales.

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Vienne vers 1800

Ce qui ne l’empêcha pas de fréquenter les salons viennois, où sa tenue vestimentaire provoqua l’étonnement et le scandale : elle revêtit des robes extrêmement légères et transparentes, et on la surnomma « the white cat » (la chatte blanche) ou « le bel ange nu » car ses tenues ne cachaient rien de sa silhouette mince et élancée. Elle affolait tous les hommes : un lord anglais, lord Palmerston, décrira que la princesse Bagration portait des mousselines de tissu indien transparent qui collaient à sa silhouette de façon indécente. Ce vêtement de couleur blanche rehaussait son visage angélique, sa peau très blanche, ses yeux bleus et sa cascade de cheveux châtains.

Bien sûr, à Vienne, elle entretenait un mode de vie digne d’une princesse russe, et les notes de frais étaient expédiées à son époux directement à Saint Petersbourg. Ce dernier payait les dettes de sa femme sans protester, et prenait la défense de son épouse lorsque les mauvaises langues soulignaient sa fuite. Bagration maintenait qu’elle était toujours sa femme, et que les affaires de son ménage ne concernaient que lui. Elle était à Vienne pour raison de santé. Il était persuadé les premiers temps qu’elle reviendrait rapidement. Même la mère de Ekaterina, de l’Italie où elle résidait, se plaignait à son gendre du comportement de sa fille à Vienne. Mais son gendre lui tint tête, et répéta qu’il soutenait son épouse. Il continua à régler des milliers de roubles qui étaient le cumul des dettes de son épouse à Vienne.

le général Bagration et le general Suvorov

Désormais seul, le prince Bagration poursuivit une brillante carrière militaire : en 1805, il commandait l’avant garde d’une armée envoyée au secours des Autrichiens : avec 6 000 hommes, il tint tête à l’armée du général Murat, et protégea vaillamment la retraite de l’armée russe après Austerlitz.

A Vienne, sa femme continuait de briller et bien sûr, elle n’était pas fidèle à son mari. Elle entama une liaison avec le comte Friedrich von der Schulenberg, puis avec le prince Louis Ferdinand de Prusse, un neveu de Frédéric le Grand. Le prince Louis Ferdinand de Prusse l’emmèna vivre à Berlin ; c’était un militaire lui aussi comme son mari, mais il était musicien et un compositeur renommé. Ça ne l’empêcha pas de combattre lui aussi (comme Bagration) les armées de Napoléon. Mais le sort devait lui être contraire, et le 10 octobre 1806, Louis Ferdinand de Prusse mourut lors de la bataille de Saafeld alors qu’il combattait les troupes françaises menées par le général Lannes.

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Le prince Louis Ferdinand de Prusse par Jean Laurent Mosnier en 1799

A l’annonce de la mort de son amant, Ekaterina dut quitter Berlin et s’en revint à Vienne. Au cours de l’hiver 1808, elle y devint la maîtresse du prince Clément von Metternich, ministre autrichien des Affaires Etrangères et chancelier de l’empire d’Autriche, et pour la première fois la jeune femme tomba enceinte. Elle accoucha à Vienne d’une fille prénommé Marie Clémentine le 29 septembre 1810.

Quand la naissance de cet enfant fut connue, le scandale éclata à la cour du tsar de Russie. Tout le monde savait que le prince et la princesse Bagration vivaient séparés depuis des années. Le tsar Alexandre 1er ordonna au général Bagration de reconnaître l’enfant comme issu de son mariage avec Ekaterina, pour sauver l’honneur de la jeune femme et celui de la maison Bagration. Le mari de Ekaterina s’exécuta de bonne grâce, mais il refusa de recevoir l’enfant qui fut confiée à la famille du comte de Metternich, qui s’occupera de son éducation jusqu’à son mariage (elle fut élevée avec les filles nées des trois mariages légitimes de Metternich).

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Le prince Metternich par François Gerard vers 1808

Pour l’anecdote, Metternich se maria trois fois : lors de sa rencontre avec la comtesse Bagration, il est marié depuis quatorze ans avec Marie Eleonore von Kaunitz Rietberg qui lui donnera huit enfants ; à sa mort en 1825 il se marie avec Marie Antoinette de Leykam qui mourra en donnant naissance à leur fils Richard ; enfin en 1831 Metternich épousera Melanie de Zichy Ferraris qui lui donnera cinq enfants. Marie Clémentine sera élevée avec les filles de son premier mariage. La naissance de cet enfant illégitime fut une rude épreuve pour le comte Bagration qui commençait à comprendre que sa femme non seulement ne l’aimait pas, mais qu’elle ne reviendrait probablement jamais vivre à ses côtés en Russie.

L’un des biographes de Bagration rapporta une anecdote à propos du prince ; un soir, à la veille d’une bataille, le prince Bagration livra ses pensées intimes à son aide de camp : il lui demanda  :

mon vieux Paul, tu es marié, es tu heureux ?

– oui, Altesse.

– moi aussi, je suis marié, et je ne le suis pas : ma femme n’est bonne à rien. Depuis de nombreuses années, elle habite Vienne où elle passe son temps à s’amuser avec les ministres autrichiens, pendant que je risque ma vie en combattant contre Bonaparte et son demi fou de beau père. J’ai bientôt trente ans de service, dont vingt trois années de guerre. Nos femmes à nous, militaires, ce sont nos fusils.

Quand les combats lui laissaient quelque répit, Bagration venait prendre du repos dans la domaine de Sima qui appartenait à son parent le prince Boris Galitzine. Il était devenu une légende, et les russes l’admiraient et ses soldats le vénéraient, seule sa femme le méprisait et l’ignorait.

Napoléon n'a pas été vaincu par les canons ou l'hiver russes | Slate.fr

Les troupes de Napoleon envahissent la Russie

A Vienne, la liaison de Ekaterina avec le prince Metternich se poursuivait ; la jeune femme avait fait de son salon le temple des opposants aux français et à l’empereur Napoléon : elle était à l’origine de la coalition anti napoléonienne et du boycott de la haute société viennoise à l’encontre de l’ambassadeur de France à Vienne. Elle était profondément anti française et considérait Napoléon comme un ennemi. Or, l’armée française avait envahi la Russie le 30 juin 1812 : Napoléon déclarera alors au sujet du prince Bagration : « à l’exception de Bagration, la Russie n’a pas de bons généraux ». Lorsque l’armée française fut aux portes de Moscou, l’époux de Ekaterina était à la tête des troupes russes lors de la bataille de Borodino le 26 août 1812.

Au cours de la bataille, il fut mortellement blessé par un éclat d’obus qui lui brisa le tibia. Il essaya de cacher sa blessure pour ne pas décourager ses troupes. On l’emporta hors du champ de bataille « ses vêtements et son linge couverts de sang, son uniforme déboutonné, une de ses bottes enlevée, sa tête ensanglantée, une large plaie sanguinolente au dessus de son genou ».

Bataille de la Moskova — Wikipédia

La bataille de Borodino

Ses soldats le croyaient mort, mais il n’était que grièvement blessé. Il fut transporté à Sima dans la propriété des Galitzine, où le médecin lui donna de l’opium pour calmer ses douleurs. Revenu à lui, Bagration demanda des nouvelles de la ville de Moscou : avait elle été prise par les français ? Personne ne voulut lui dire la vérité (l’armée russe s’était en effet repliée le 7 septembre en abandonnant la capitale qui devait tombée aux mains des français le 14 septembre).

Le 8 septembre, se sentant un peu mieux, il dicta une lettre de remerciement au tsar qui venait de lui accorder 50 000 roubles de rentes annuelles. Il insista pour que la lettre soit portée sur le champ à l’empereur Alexandre à Moscou au palais du Kremlin, et c’est alors que l’aide de camp qui était chargé d’emporter la lettre lui répondit que Moscou était aux mains des français.

Mort du Prince Bagration à la bataille de la Moskova le 7 Septembre 1812

le prince Bagration, blessé à la bataille de Borodino

A cette nouvelle, Bagration s’effondra. On le porta sur son lit avec une forte fièvre, et le 12 septembre, après une longue agonie, il rendit son âme à Dieu à l’âge de 47 ans. Il fut inhumé à Sima là où il résidait, mais dix huit ans plus tard, en 1830, l’empereur Nicolas 1er fit édifier un monument sur le champ de bataille de Borodino, et y fit transporter le cercueil de Bagration qui y repose désormais (la tombe fut détruite pendant les combats de la Seconde Guerre Mondiale, mais elle fut reconstruite). Avant de mourir, cet homme qui avait toujours adoré sa femme, infidèle et volage, commandera un portrait de cette dernière au peintre Volkov.

La mort de son époux atteindra Ekaterina à Vienne, et renforcera ses sentiments anti français. En 1815, lorsque Napoléon fut vaincu à Waterloo, la princesse Bagration occupera une place prépondérante lors du Congrès de Vienne.

A. de la Garde-Chambonas - Souvenirs du Congrès de Vienne - - Catawiki

Souvenirs du Congrès de Vienne avec le portrait de la Garde Chambonnas

La Garde Chambonnas écrivit alors :

« le salon de la princesse Bagration était le salon russe par excellence ; cette dame faisait en quelque sorte les honneurs de Vienne à ses compatriotes. Elle était un des astres les plus brillant dans cette foule de constellations que le Congrès avait réunies. Par son charme et la distinction de ses manières, elle semblait avoir été chargée de transporter là les formes polies et cette aisance aristocratique qui faisaient alors des salons de Petersbourg les premiers de l’Europe. Sous ce rapport jamais ministre plénipotentiaire ne sut mieux tirer parti de ses instructions ».

Elle tiendra un grand bal en l’honneur de la venue du tsar Alexandre 1er à Vienne le 30 septembre 1814 ; ils se connaissaient de longue date puisqu’elle avait été la demoiselle d’honneur de la tsarine sa mère. Elle recevra aussi la visite de Talleyrand qu’elle trouva « peu intéressant dans la conversation, peu causant et presque insipide ». Le tsar Alexandre lui accordera son amitié, et elle lui enverra plus tard des lettres diplomatiques, où elle le renseignera sur les courants politiques qui se tenaient à Vienne et dans les autres cours d’Europe.

En mars 1815, elle confia à une relation qu’elle avait trois adorateurs dont deux voulaient l’épouser : il s’agissait du prince royal de Wurtemberg, du prince régnant de Cobourg, et de lord Stewart l’ambassadeur d’Angleterre.

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Le prince William de Wurtemberg

Lorsque Napoléon sera envoyé en exil à Sainte Hélène, Ekaterina prendra la décision de quitter Vienne pour venir s’installer à Paris. Il semble aussi qu’elle se soit vite lassée des infidélités de son amant Metternich (qui était d’ailleurs un homme marié).

En effet celui ci avait pris une nouvelle maîtresse, Wilhelmine de Sagan, duchesse de Sagan (aux mœurs tout aussi libres que Ekaterina) et le prince délaissera petit à petit la princesse Bagration pour la  princesse Wilhelmine de Sagan.

A Paris où elle s’installa, elle louera une grande maison au 45 rue du Faubourg Saint Honoré, résidence que la police secrète de Louis XVIII mettra en filature. Elle y ouvrira un salon où de nombreuses célébrités se rencontrèrent : Stendhal, Benjamin Constant, le marquis de Custine….

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La princesse Wilhelmine de Sagan par Joseph Grassi en 1799

Elle entretiendra aussi une liaison sérieuse avec le comte Stanislas Potocki. Honoré de Balzac sera l’un des fidèles des salons de la princesse Ekaterina. Il confiera plus tard que l’une de ses héroïnes (Feodora) dans son roman « la peau de chagrin » lui avait été inspirée par la princesse Bagration.

En 1828, elle maria sa fille naturelle Marie Clémentine (née de sa liaison avec Metternich) avec le prince Otto von Blome. Enceinte, cette dernière viendra accoucher d’un fils Otto Paul à Paris le 25 mai 1829, et mourra des suites de l’accouchement le lendemain à l’âge de dix neuf ans.

C’est un rude coût pour la princesse Bagration qui se retrouva seule à Paris : elle qui n’était que locataire décida d’acheter pour 366 000 Francs l’immeuble où elle résidait « y compris les poêles, glaces, tentures, boiseries, dorures, stucs, marbres, sculpture et autre agencement » le 4 octobre 1830.

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Illustration de la “peau de chagrin” roman de Balzac

A l’âge de 47 ans, peut être minée par la solitude, elle décida de se remarier. Elle rencontra dans son salon un attaché de l’ambassade britannique à Paris, le baron John Hobart Caradoc 2ème du nom. Il avait 31 ans, et était promu à un brillant avenir politique. Ils se marièrent en octobre 1834. Ses contemporains le décrirent comme «l’un de plus bels hommes d’Europe et un des plus élégants ». 

Par son contrat de mariage, Ekaterina procédera à une séparation des biens, mais elle fera donation à son deuxième mari si elle devait mourir avant lui : toutes ses possessions en France ou en Angleterre : meubles, immeubles, bijoux, titres…iraient à son époux le baron Caradoc.

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John Hobart Caradoc, 2ème mari de Ekaterina Skavronskaia vers 1830

Cependant, dans ce contrat, il était stipulé qu’elle ne prendrait pas le nom de son mari, mais qu’elle conserverait le nom et les titres honorifiques de sa haute noblesse conformément aux lois et usages anglais. Évidemment aucun enfant naquit de ce mariage, l’épouse étant trop âgée. L’époux de Ekaterina fut nommé officier de liaison entre l’Angleterre et Bruxelles. Il semble que Ekaterina, devenue lady Caradoc, refusa de quitter Paris. Au fil des mois, le couple se disloqua, et bientôt les époux se séparèrent dans le courant de l’année 1848.

En 1849, on retrouva Ekaterina en visite à Londres pour la première fois. Elle provoqua l’hilarité des britanniques lorsqu’elle arriva sur invitation revêtue de ses fameuses robes de mousseline qui au temps de sa jeunesse avaient pu révéler ses formes magnifiques, mais qui maintenant soulignaient les formes empâtées d’une quinquagénaire. Quelqu’un la décrivit comme « jaunie et vieillie ».

Elle continua ses voyages en Europe, et vendit au fur et à mesure des années les derniers bijoux qui lui venaient de son héritage Potemkine, et notamment le fameux diamant « le Potemkine » qui sera acheté plus tard par l’empereur Napoléon III qui l’offrira à son épouse Eugénie. En juin 1857, la princesse Ekaterina se trouvait à Venise, en Italie, où elle ressentit une grande fatigue qui l’obligea à s’aliter. Cela faisait plusieurs mois que ses jambes la faisaient souffrir, et elle avait de terribles maux de tête.

Le 2 juin 1857, elle fut retrouvée morte dans son lit : elle avait 74 ans. On l’enterra dans le cimetière de San Michele de Venise.

La tombe de la princesse Bagration à Venise

Son vieil amant, Metternich, mourut deux ans plus tard en 1859. Quant à son mari, devenu lord Howden à la mort de son père, il était devenu général et ambassadeur à Madrid : il recueillit conformément aux clauses de son contrat de mariage tous les biens possédés par sa femme en France et en Angleterre. Il mourut sans s’être jamais remarié en 1873 dans son château de Caradoc, à Bayonne.

En Russie, le nom de Bagration est toujours vénéré grâce au mari de Ekaterina et un asteroide porte même son nom ; et c’est grâce à son mari qu’on se souvient un peu d’Ekaterina….

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Descendants d’Ekaterina Skavronskaya :

Ekaterina Skavronskaya, née le 7 février 1783, décédée le 2 juin  1857, Venezia (à l’âge de 74 ans).
Mariée le 2 septembre 1800, Gatchina, avec Pyotr Bagratid, né en 1764, décédé le 12 septembre 1812, bataille de Borodino (à l’âge de 48 ans) … . .
Mariée en octobre 1834, Paris, avec John Hobart Caradoc, baron Howden (2e, 1839), né le 16 octobre 1799, Dublin (Ireland), baptisé, St. Peter’s Church (Dublin), décédé le 8 octobre 1873, Casa Caradoc, Bayonne (à l’âge de 73 ans), colonel britannique, écuyer de la duchesse de Kent, member of Parliament for Dundalk 1830-31, ministre plénipotentiaire à Madrid 1850-58
Relation avec Clemens Wenzel, Fürst von Metternich-Winneburg (2e), Duque de Portella (1er août 1818), né le 15 mai 1773, Koblenz, décédé le 11 juin 1859, Wien (à l’âge de 86 ans) … dont

    •  

Marie-Clementine Bagration, née le 10 novembre 1803, Wien, décédée le 26 mai 1829, Paris (à l’âge de 25 ans).
Mariée le 1er mai 1828 avec Otto Blome, né le 1er octobre 1795, Salzau, décédé le 1er juin 1884, Salzau (à l’âge de 88 ans) … dont

      •  

Otto, Graf von Blome, né le 18 mai 1829, Hannover, décédé le 24 août 1906, Kissingen (à l’âge de 77 ans).
Marié le 1er septembre 1858 avec Joséphine, Gräfin von Buol-Schauenstein, née le 10 octobre 1835, Karlsruhe, décédée le 21 mai 1916, Salzburg (à l’âge de 80 ans) … dont

        •  

Maria Klementine, née le 23 juin 1860, décédée.

        •  

Johannes Hubert Xaver, né le 23 février 1867, Wien (Österreich), décédé le 19 juillet 1945, Brașov, Transilvania (România) (à l’âge de 78 ans).
Marié le 18 novembre 1901, Paris VIIIe, avec Martha Stirbey, née le 23 avril 1877, Paris, décédée le 2 septembre 1925 (à l’âge de 48 ans)

        •  

Anne, Gräfin Blome, née le 11 février 1871, Genève (Suisse), décédée le 9 janvier 1960, Salzburg (Autriche) (à l’âge de 88 ans).
Mariée le 21 novembre 1896, Wien, avec Franz von und zu Eltz genannt Faust von Stromberg, né le 25 juillet 1868, Linz (Autriche), décédé le 26 juin 1921, Marienbad (à l’âge de 52 ans), capitaine au 2ème régiment de dragons .
Mariée avec Karl von Ebelsberg

Sources :

    •  

« wikipedia.

    •  

Revue des deux mondes, « M et Mme Bagration » 1965,

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