Emily Mary Lennox, duchess of Leinster (1731-1814)

Spread the love

 

emilylennox

Emily Lennox, à l’âge de quinze ans, année de son mariage

Née à Richmond House, résidence des ducs de Richmond à Londres.
Décédée le 27 mars 1814 à Grosvenor Square, London
Inhumée à la cathédrale de Chichester, Sussex

Elle était le sixième enfant (et quatrième fille) de Charles Lennox 2ème duc de Richmond (petit fils de Louise de Kéroualle, duchesse de Portsmouth, voir « Webzine janvier 2011) et de son épouse Sarah Cadogan.

Richmond House était une résidence de trois étages, partiellement reconstruite par le 2ème duc de Richmond en 1730, avec un jardin privé qui était attenant au palais royal de Whitehall, résidence du roi à Londres : au sud, la pelouse descendait en pente douce jusqu’à la Tamise.

Le grand père d’Emilia Mary, Charles Lennox, 1er duc de Richmond, était l’un des nombreux bâtards du roi Charles II. Il était né de la liaison du roi avec une bretonne, Louise de Kéroualle, faite duchesse de Portsmouth par son amant. A la mort de Charles II, Louise de Kéroualle s’était retirée en France (sur ses terres dans le Berry), avec son fils.

charles10Charles Lennox, 2ème duc de Richmond et son épouse Sarah Cadogan, les parents de Emily Lennox (portrait en 1726 par Jonathan Richardson)

Ce dernier n’avait pas tardé, à l’âge de dix huit ans à quitter sa mère, et à retourner vivre en Angleterre, reniant le catholicisme, et adhérant sans rechigner au nouveau régime de William III, hostile aux Stuarts, chassés d’Angleterre. Il devint très vite un anglican loyal, et un Whig, défenseur de la dynastie des Hanovre. Il était charmant, cosmopolite, frivole, mais surtout (comme sa mère Louise de Kéroualle), amoureux du jeu, et eut rapidement des dettes de jeux énormes à régler.

 londonLa ville de Londres vue des jardins et terrasse de Richmond House, résidence du duc de Richmond et lieu de naissance d’Emily Mary Lennox (par Canaletto) en 1747

Un jour, le 1er duc de Richmond se retrouva à La Haye, en Hollande, à une table de jeu vis-à-vis du comte irlandais Cadogan, un des premiers officiers du duc de Marlborough. Perdant au jeu, le 1er duc de Richmond proposera à son partenaire de s’acquitter de sa dette en proposant son propre fils, Charles, alors comte de March (futur 2ème duc de Richmond) comme mari de la fille de Cadogan, Sarah, qui était élevée au couvent, avec une réduction de 5 000 livres de la dot pour effacer sa dette. Le mariage des futurs parents de Caroline Lennox fut alors promptement réglé. Le jeune comte de March, âgé de dix huit ans, fut soustrait à ses études, expédié en Hollande, à La Haye, où on le maria aussitôt à une fillette maigrelette, âgée de treize ans qu’il n’avait jamais vu. Le jeune Charles eut juste le temps de s’exclamer « Ah non, on ne va quand même pas me marier à cette mocheté ! » avant d’être proprement uni à celle qui allait devenir la 2ème comtesse de Richmond.

Après la cérémonie, le comte de March fut embarqué pour l’Italie avec son précepteur pour une tournée de trois ans à travers toute l’Europe, afin d’accomplir la fin de ses études. La jeune comtesse de March, Sarah Cadogan, fut elle promptement ramenée à son couvent.

Trois ans plus tard, le comte de March revenait à Londres, et peu pressé de revoir celle qui était sa femme, et qu’il s’était fait un devoir d’oublier pendant ces longues années, (mais qui entre temps avait gagné le sol anglais), se proposa de fêter son arrivée dans un théâtre londonien. Comme la plus grande partie de l’assistance, il fut plus soucieux de regarder vers les loges et l’orchestre, que vers la scène. Remarquant une jeune femme particulièrement ravissante, il se tourna vers son voisin pour lui demander qui elle était. Celui-ci lui répondit « vous devez être un étranger en ces lieux pour ne pas la connaître, c’est la coqueluche de la ville, la belle lady March ». Il s’agissait en effet de Sarah Cadogan, âgée de seize ans, accompagnée de son chaperon, qui de vilain petit canard s’était métamorphosée en cygne ravissant.

 emilyEmily Lennox, en 1753, par Joshua Reynolds

Le comte de March ne perdit pas un instant pour se faire présenter et reconnaître à celle qui était son épouse légitime. Grand, beau, élégant, le jeune homme ne tarda pas à se faire aimer de sa jeune épouse, qui ne lui tint pas rigueur de son absence pendant toutes ces années. Le père de Caroline ne manquait jamais de raconter à ses enfants cette histoire qu’il se plaisait à embellir à ravir, car il ne se cachait pas d’être amoureux de son épouse, et ce comme au premier jour.

Et son épouse lui rendait son amour au centuple. Le mariage du 2ème duc de Richmond avait été l’évènement le plus romanesque de sa vie.

 En 1723, (soit un an après son retour en Angleterre), il devenait à la mort de son père, le 2ème duc de Richmond. Emilia Mary Lennox, sa quatrième fille naitra huit ans plus tard. Sarah Cadogan n’eut de cesse de donner des héritiers à son époux : pendant les vingt huit ans de son mariage, Sarah Cadogan fut enceinte vingt trois fois ! Mais elle ne donnera naissance qu’à douze enfants, les autres seront des fausses couches trop rapprochées pour être viables :

 Emilia Mary Lennox était la quatrième fille du couple. Des cinq enfants qui l’avaient précédés, seule Caroline Lennox (voir webzine de mars 2011) avait survécu. Les deux fillettes devaient dès l’enfance être très proche l’une de l’autre.

  • Caroline Lennox, née en 1723 (voir webzine de mars 2011) future baronne Holland.

  • Charles né et mort en septembre 1724.

  • Louisa Margaret, née novembre 1725, morte à l’âge de deux ans.

  • Anne, née en mai 1726, morte à un an.

  • Charles né en septembre 1730, mort à deux mois.

  • Emily Mary.

  • Charles, né en février 1735, mort en décembre 1806, futur 3ème duc de Richmond.

  • George, né en novembre 1737, mort en mars 1805, père du 4ème duc de Richmond.

  • Margaret, née en novembre 1739, morte deux ans plus tard.

  • Louisa, née en novembre 1743, morte en 1821, épousera Thomas Conolly, l’homme le plus riche d’Irlande.

  • Sarah, née en février 1745, morte en août 1826, qui aurait pu être reine d’Angleterre (son histoire sera dans le prochain webzine).

  • Cécilia, née en février 1750, morte à l’âge de dix neuf ans de la tuberculose.

 Emily était la préférée de ses parents : lorsqu’elle était enfant, certains de ses os s’étaient mal développés et on lui avait fait porter un corset pour les redresser. C’était une enfant précoce, sa mère écrivit à son sujet « Em est merveilleuse mais incroyablement facétieuse, hier soir alors que la voyais aller se coucher, je lui ai demandé si son lit était bon. Elle m’a répondu « c’est ce qu’on appelle en englois comfortable », je suis autant en admiration que vous ».

emily2Emily Lennox et son jeune fils Edward (le futur révolutionnaire) en 1768 par Daniel Gardiner

En 1744, Emily a tout juste treize ans mais elle connaît déjà le secret de sa sœur ainée Caroline, qui est tombée amoureuse du politicien Fox. Caroline lui a confié qu’elle n’écoutera que son cœur, et qu’elle est résolue à épouser cet homme malgré l’opposition ferme de leur père le duc de Richmond. La fuite et le mariage de sa sœur ainée provoquent la fureur de leur père qui interdit aux deux sœurs de correspondre. Emily, sage et peu rebelle, se pliera à la volonté de son père.

A l’automne 1746, Emily a quinze ans, elle est beaucoup plus jolie que sa sœur Caroline : son teint était plus clair, elle portait d’épaisses boucles brunes, des yeux bleu pâles, et une petite bouche mutine. Elle était grande et bien proportionnée et avait de belles jambes. Le peintre Reynolds qui fera plusieurs portraits d’elle dit qu’elle avait une « douceur d’expression » qu’avait peine à capter un peintre.

Elle avait une vivacité d’esprit, couplée à une langueur physique qui appelaient l’attention et la calinerie.

louisedekeroualleLouise de Keroualle, duchesse de Portsmouth par Peter Lely (arrière grand mère de Sarah Lennox) en 1672

Pendant sa petite enfance, elle n’avait pas connu l’atmosphère imprégnée de maladie et de mort qu’avait connu à son âge Caroline, témoin des naissances et décès de ses frères et sœurs. Emily savait ruser pour obtenir ce qu’elle voulait que ce soit de ses parents ou de ses frères et sœurs : « j’aime que l’on m’adore sans mesure » écrira t’elle à l’âge de vingt ans, et elle acceptait l’adoration et la dévotion comme un dû. Or, elle a déjà pris dans ses filets, dès l’été 1745, un aristocrate irlandais, James Fitzgerald, comte de Kildare âgé de vingt trois ans, tombé en admiration devant les jolies jambes de la fille du duc de Richmond.

Encore une fois, le duc et la duchesse de Richmond s’opposèrent à la demande de mariage de ce prétendant, mais cette fois la politique n’était pas en jeu (comme pour Fox, le mari de Caroline), simplement le duc de Kildare avait le défaut d’être irlandais, et de ne vouloir vivre qu’en Irlande, ce qui signifiait pour des parents aimants que leur fille chérie irait vivre en Irlande. Mais Kildare avait des atouts : il était l’un des premiers pairs d’Irlande et il était fort riche : ses terres (près de Dublin) couvraient 34 000 hectares. Lorsqu’il fit sa demande de mariage, James Fitzgerald avait 15 000 livres de rente par an et un crédit illimité auprès des banquiers de Dublin. Le duc de Richmond le fera patienter dix huit mois prétextant la trop grande jeunesse de sa fille, mais en décembre 1746, l’argument ne tenait plus la route. Hormis sa nationalité, on ne pouvait rien reprocher à James Fitzgerald : il était riche, jeune, bien éduqué, beau, et visiblement amoureux. De plus, il était prêt à prendre Emily pour femme sans dot, ce que s’empressera de faire le duc de Richmond. Bref, le mariage eut enfin lieu à Richmond House le 7 février 1747.

 kildareJames Fitzgerald, comte de Kildare, duc de Leinster, mari d’Emily, en 1753 par Joshua Reynolds

 Caroline Lennox apprendra le mariage de sa sœur avec une grimace et conclura sur le duc de Kildare « il n’est pas l’homme le plus intelligent du monde ». Au moment de son mariage, Emily n’est encore qu’une enfant, mais la fougue amoureuse de son époux allait rapidement la transformer. James Fitzgerald était persuadée que faire l’amour donnait confiance et il pensait que la vie sexuelle était « nécessaire à la santé et au bonheur d’une femme ».

Le nouvel époux d’Emily favorisa le rapprochement de celle-ci avec sa sœur Caroline, car il voyait aussi pour lui-même un atout avec le rapprochement avec son beau frère Fox qui tenait une position influente en politique. Mais dès le mois de juin 1747, Emily était en route pour son nouveau pays, l’Irlande. Dès les premiers jours, Emily n’aima pas l’Irlande ni les maisons irlandaises : elle trouvait les maisons trop petites et mal meublées. Elle écrira à Caroline « chacun ici dépense tout ce qu’il a à manger et à boire et n’a pas la moindre idée d’un bien être ; ils ne se soucient pas de savoir si leur maison ou même leur tenue sont convenables pour recevoir de la compagnie, pourvu qu’ils puissent se goinfrer c’est l’essentiel ! »

 La noblesse irlandaise n’avait en effet rien à voir avec la noblesse anglaise, mais Emily s’installa à Dublin à Kildare House, avec confiance, et attendra avec impatience les travaux que son mari entreprenait pour leur nouvelle résidence à Carton, à deux heures de route de Dublin. Ses journées se passent en lisant, cousant ou en écoutant les potins de la ville. Elle se met très vite au jeu et se mit à perdre sans scrupules et écrivait, contente, à son mari « vous le savez fort bien, je ne puis me passer de divertissement ». Emily perd au jeu, mais son mari n’en a cure, il est riche et puis il aime Emily. Elle en joue, et coquette, arrive toujours à ses fins.

Un jour, elle souhaita transformer sa parure de diamants et prit sa plume pour écrire à son mari, alors absent : « vous souvenez vous, mon cher lord Kildare, vous m’aviez accordé de transformer ma boucle ; aujourd’hui je le désire plus que jamais. Il y a aujourd’hui tellement de moyens pour pousser à la dépense, et vous savez que votre pauvre Emily ne sait pas résister à la tentation. C’est très poli et très juste de votre part d’inviter ces dames à Carton ; je ne suis pas le moins du monde jalouse d’aucune d’entre elle, hormis Mrs Clements qui est si jolie et si charmante que je vous croie en quelque danger de tomber amoureux d’elle, s’il en était ainsi, Mr Clements deviendrait mon amant et je pourrais alors me permettre de transformer ma parure de diamants aussi souvent que j’en aurais envie ». Le duc de Kildare fit remettre les diamants à la mode. Il achetait pour Emily des bas de soie qui mettaient en valeur les « jolies jambes » de son épouse et il lui écrivait « il me tarde tant d’avoir la reconnaissance de vos chères, chères jambes pour tout le souci que j’ai eu pour elles et je ne doute pas d’être amplement récompensé de m’en être autant occupé ».

kildare2Emily et son époux James Fitzgerald duc de Leinster, discutant des plans de Carton House (en 1755 par Athur Devis)

Avec un mari aussi intentionné et amoureux, Emily Lennox ne tarda pas à combler la nurserie du comte de Kildare. Le premier enfant, George naquit en janvier 1748, soit onze mois après son mariage. Il devait être suivi d’une ribambelles d’enfants (dix neuf au total !, le dernier George Simon en 1773), que lorsqu’ils partaient en voyage à Londres, Emily et son mari avaient du mal à reconnaître leurs enfants au retour. De temps en temps, le couple se plaignaient de cette nombreuse famille (les filles surtout, car le comte de Kildare allait devoir les doter !), mais si Emily se plaignait dans ses lettres à Caroline de son cycle ininterrompu de grossesses, elle aima chacun de ses enfants.

 Quatre ans après le mariage de leur fille Emily, le duc et la duchesse de Richmond décédaient à un an d’intervalle. Dans son testament, le duc remit ses plus jeunes filles Louisa, Sarah et Cecilia à sa fille préférée, Emily, au détriment de l’ainée de ses filles, Caroline Fox, à qui il n’avait pas pardonné son mariage. Emily, qui était déjà mère de trois enfants, se conforma à la décision de son père et fit donc venir en Irlande ses sœurs Louisa (âgée de onze ans), Sarah (âgée de six ans) et Cecilia (âgée d’un an). Carton House, demeure du comte de Kildare près de Dublin devint leur nouvelle maison et Emily Lennox, leur sœur ainée, une seconde mère. Les deux frères d’Emily, George et Charles (futur 3ème duc de Richmond) poursuivaient leur éducation à l’étranger.

cartonhouseCarton House, siège des ducs de Leinster en Irelande

Caroline Lennox, mécontente de la décision de son père, ne désespéra pas de pouvoir un jour gérer l’avenir de ses jeunes sœurs, et elle se promit de trouver un époux acceptable à Louisa lorsque celle-ci eut quinze ans. Caroline lui chercha un époux anglais, mais Emily fut implacable et orienta Louisa dans un mariage avec un irlandais, Thomas Conolly, l’homme le plus riche d’Irlande, âgé seulement de vingt ans. Aux yeux d’Emily, l’atout le plus réussi de ce prétendant se trouvait dans le fait que sa propriété jouxtait celle du mari d’Emily en Irlande, ainsi elle ne perdrait pas de vue une sœur qu’elle avait élevée comme sa propre fille.

 Le jeune couple se maria le 30 décembre 1758 et lors de leur voyage de noces à Londres rendit visite à Caroline Lennox et à son époux Henry Fox. Caroline contempla son beau frère avec effarement, elle écrivit à Emily : « Mr Conolly semble être un garçon agréable, mais vous devez être indulgente envers Conolly pour n’avoir pas conclu qu’il est complètement idiot, chère petite sœur, quel garçon ennuyeux et c’en est triste car il semble gentils. Je ne puis imaginer combien j’aurais été malheureuse, si à l’age de Louisa, j’avais eu un tel mari, j’ose espérer et je le pense, que jamais elle ne s’en rendra compte, pour moi c’eut été affreux ». Caroline espérait se rattraper dans les futurs mariages de ses deux dernières sœurs : Sarah et Cecilia, et leur trouver un époux digne d’elles (il n’en fut rien puisque Cecilia devait mourir tuberculeuse à 19 ans, et que Sarah eut un autre destin »).

ogilvyWilliam Ogilvie (caricaturé par son gendre vers 1800)

Emily se vexa au reçu de la lettre de Caroline puisqu’elle avait été la principale instigatrice de mariage, qui d’ailleurs, comme les années à venir allaient le démontrer, fut plutôt réussi et heureux. Le seul point noir de ce mariage, c’est que Louisa Lennox fut incapable de donner un enfant à son époux et le mariage restera stérile. Elle reportera son amour sur la nombreuse nichée d’Emily.

En 1765, un drame affecta Emily : son fils ainé George, l’héritier du titre, mourrait à l’âge de dix sept ans. Il était le seul enfant de la couvée à avoir des capacités intellectuelles, et son père, le comte de Kildare le destinait à l’armée. Il succombera à une fièvre phtisique. Au moment de la mort de son fils ainé, Emily était enceinte de son treizième enfant. Elle devint plus anxieuse et moins satisfaite de la vie. Pourtant elle continua d’organiser ses grossesses de façon simple et efficace : elle ne mit jamais au monde d’enfant mort né et ne perdit qu’un nourrisson, Caroline, à l’âge de quatre semaines en 1755. Elle conseillait à ses amies enceintes une bonne nourriture, beaucoup de repos, et de l’exercice : mais pour elle, pas question de marcher, seule une promenade dans les secousses d’une charrette était une nécessité quotidienne « quelques 7 ou 8 miles par jour » dans une chaise de poste sur une route cahotante… « pour vous secouer » pouvait faciliter le travail : on apercevait souvent Emily faisant le tour du domaine de Carton, conduite par son cochet dans sa voiture verte vive qu’elle adorait.

 Elle faisait ses couches à Dublin et avait un docteur auprès d’elle. Son mari, le comte de Kildare n’était pas autorisé dans la chambre de l’accouchée, mais il était toujours à portée de voix dans la maison. Pour Emily, la chambre d’une accouchée devait être claire, les rideaux tirés, les fenêtres ouvertes pour renouveler l’air. Avec l’habitude des années, elle continuera d’écrire jusqu’à ce que les premières douleurs de l’accouchement la stoppent dans ses activités de tous les jours. Elle refusera d’allaiter ses enfants, car elle croyait que cela risquait d’affecter sa vision, qu’elle avait fort mauvaise. Après chaque accouchement, elle entamait son mois de confinement où elle était dégagée de toutes les contraintes sociales et domestiques.

 011985_002James Fitzgerald, l’époux d’Emily Lennox

Elle restait dans sa chambre, et se faisait dorloter par ses servantes ou sa famille. Elle jouait aux cartes ou bavardait, mais la lecture (à cause de ses yeux) lui était interdit pendant une semaine. Curieusement, elle ne fera jamais allusion dans ses lettres aux douleurs de l’accouchement, elle trouvait le travail « ennuyeux » même si quelque fois, elle reconnaissait avoir eu mal. Le mois terminé, Emily se rendait à l’église pour les relevailles qui consacrait le retour des femmes dans le monde après leur accouchement. Aussitôt après la vie conjugale pouvait reprendre, et le comte de Kildare, impatient, reprenait ses allées venues dans la chambre d’Emily, ce qui menait, bien souvent, à une autre grossesse : la plupart des enfants d’Emily auront entre onze et quinze mois de différence.

 Même si elle aimait ses enfants, Emily avait des préférés : son ainé, George, mort à dix sept ans, puis Charles (né en 1756) et Edward « Eddy » (né en 1763). L’éducation de ses fils fut plus pointilleuse que celles de ses filles : ces dernières eurent une connaissance élémentaire en danse, maintien, dessin et chant. Elles devaient savoir parler le français, et connaître la musique. Emily elle-même avait reçu, jeune, une éducation bien plus supérieure.

En 1766, Emily et son mari (devenu cette année là 1er duc de Leinster) aménagèrent une maison à Black Rock qui allait devenir le centre de l’éducation des petits Kildare. Ardente lectrice de Jean Jacques Rousseau, Emily prit sa plume et proposa à ce dernier (qui résidait alors dans le Derbyshire) de devenir le précepteur de ses enfants. Rousseau déclina son offre et rentra en France. Le poste allait échouer à un écossais, William Ogilvie, âgé de vingt cinq ans et qui avait été professeur à Dublin. Il fut recommandé à James Fitzgerald et à Emily pour ses connaissances en lettres, en mathématiques et en français. William Ogilvie s’occupa d’abord de l’éducation du jeune Charles, puis peu à peu, toute la nichée (filles et garçons) allèrent le retrouver à Black Rock.

Emily_Duchess_of_Leinster_1770_sPortrait par Joshua Reynolds en 1770

En 1769, William Ogilvie écrivait une ou deux fois par semaine à la comtesse de Kildare pour la tenir au courant du quotidien : il lui relatait les maladies des enfants, leurs progrès, leurs jeux. Il emmenait les enfants à la pêche et leur apprenait à bêcher le jardin. Petit à petit, Emily se mit à conserver les lettres du précepteur de ses enfants. Durant le courant de l’année 1771, Emily, charmée de rencontrer un homme qui aimait ses enfants et partageait ses goûts pour la lecture, tomba amoureuse de son jeune précepteur (il avait neuf ans de moins qu’elle). Elle cacha sa liaison à ses sœurs, et la correspondance amoureuse fut suivie d’une liaison très discrète (il n’y avait que quelques heures de route entre Carton et Black Rock).

En novembre 1773, le mari d’Emily tomba gravement malade. Le comte de Kildare (devenu duc de Leinster en 1766) souffrait à cinquante et un ans d’une forme compliquée d’hydropisie : ses reins se bloquaient et son corps se remplissait d’eau. Il mourut peu après le 19 novembre laissant une fortune à sa femme qui entendait bien garder son amant et son nom. Le précepteur de ses enfants était très certainement le père de son dernier enfant, George Simon, né en 1773. Mais en janvier 1774, Emily, devenu veuve du duc de Leinster, et peu discrète, fut la proie des potins de la bonne société irlandaise. Sa liaison avec William Ogilvie commençait à être connue : elle décida de couper court aux rumeurs en programmant un voyage en France avec ses enfants.

Leur destination finale était le château de la Verrerie, dans le Cher, ancien domaine de Louise de Kéroualle, qui pouvait, pour un temps abriter le bonheur d’Emily et de William. La maladie soudaine de Caroline et de son mari Henry Fox en juillet 1774 retarda leur départ : Caroline et son mari moururent tous deux à quelques semaines d’intervalle à Londres, aussitôt après, Emily et William Ogilvie embarquèrent pour Bordeaux dès le mois d’aout. Ils partaient accompagnés de Charlotte (seize ans), Henry (treize ans), Sophia (douze ans), Edward (onze ans), Robert (neuf ans), Gerald (huit ans), Fanny (quatre ans), Louisa (deux ans), et George Simon (un ans, l’enfant de William Ogilvie).

aubigny1Le chateau d’Aubigny sur Nère (Cher)

Le mariage d’Emily et de William Ogilvie eut lieu dans le plus grand secret à Toulouse le 26 octobre 1774 : Emily avait quarante trois ans, et William trente quatre ans. Emily se fit un devoir d’en avertir la famille, et le chef de celle-ci représentée par son frère Charles Lennox 3ème duc de Richmond. Celui-ci ne tarda pas à lui répondre en lui reprochant de ne pas avoir attendu l’année obligatoire de deuil que la coutume demandait à une veuve de respecter avant de se remarier.

Emily n’avait cure des remarques de son frère ; le couple reprit son périple vers Montpellier puis s’installa à Marseille où Emily donna naissance le 9 juillet 1775 au premier enfant de son remariage : une petite fille nommée Cecilia. Comme son frère George, Cecilia était brune et jolie. La chaleur désagréable de Marseille poussera toute la maisonnée à se rendre enfin vers le Cher où le château de la Verrerie était mis à leur disposition grâce au soutien (bien malgré lui) du duc de Richmond, frère d’Emily. Emily s’empressa de faire de fréquents séjours à Paris où elle et William furent reçus cordialement.

 emilyEmily Lennox par Martin Archer Shee en 1809

De 1775 à 1777, Emily fit trois fausses couches. Elle accoucha d’une petite Charlotte en 1777 qui ne devait vivre que quelques heures. A la suite de cette naissance, William Ogilvie imposa à son épouse une séparation de plusieurs mois pour éviter une nouvelle grossesse qui risquait d’affecter la santé d’Emily. Emily rechigna à lui obéir et lui écrivit de nombreuses lettres où elle réclamait son retour « c’est évident, mon amour, nous ne pouvons supporter cette séparation, nos cœurs en sont brisés. ». William Ogilvie était parti pour Paris pour allonger la distance vis-à-vis du Berry où étaient restés Emily et les enfants au château de la Verrerie.

Les lettres déchirantes d’Emily le suivaient pas à pas, et fin 1777, Ogilvie revint enfin près d’Emily. La réconciliation entraina bien évidement une nouvelle grossesse pour Emily qui se retrouva de nouveau enceinte en 1778. A l’âge de quarante sept ans, Emily accouchera à Paris en mai 1778, de son vingt deuxième enfant, (et le dernier !), Emily Charlotte dite « Mimie ».

En 1779, le couple se décida à retourner en Angleterre (après cinq ans d’absence) et à affronter l’opinion des membres de la famille d’Emily. Le frère d’Emily, le duc de Richmond restera toujours très froid vis-à-vis de l’ancien précepteur des enfants de sa sœur, mais Louisa et Sarah l’accueillirent avec générosité.

Le comportement d’Emily au fil des années vis-à-vis de William était complètement différent de celui qu’elle avait eu avec son premier époux. Elle s’immergea complètement dans sa passion pour lui et exigeait sa présence chaque jour à ses côtés. Lorsqu’il devait s’absenter, elle était rongée par la jalousie, se persuadant qu’il était attiré par une autre femme. En fait, Emily avait découvert que son premier époux, le comte de Kildare malgré son amour pour elle, avait entretenu des relations avec des suivantes de Carton House à chaque fois qu’Emily entamait une grossesse et qu’il devait interrompre ses rapports amoureux avec elle. Mais elle ne s’était jamais sentie menacée par ces amours ancillaires.

Dans le cas de William Ogilvie, Emily était consciente que les années qui les séparaient (neuf ans !) ne pouvaient agir qu’en sa défaveur. Pourtant il semble qu’Ogilvie était sincèrement amoureux d’Emily et que les craintes de celle-ci n’étaient pas fondées : en 1783, alors qu’Emily fête ses cinquante et un ans, il lui écrit de Londres : « je meurs d’impatience de revoir votre beau visage et de serrer dans mes bras aimants votre charmante personne, de recevoir vos tendres baisers et d’embrasser vos lèvres douces et embaumées. Je meurs d’envie de vous appeler à nouveau mienne, de vous sentir ainsi et de vous assurer de mon amour et de mon affection inaltérables ».

edwardEdward Fitzgerald, fils d’Emily (le révolutionnaire irlandais)

Au fil des ans, la famille d’Emily apprit à apprécier William Ogilvie, qui devint vite un ami de Charles James Fox, neveu d’Emily (fils de Caroline et d’Henry Fox). Emily se mit à gagner de l’embonpoint et des rhumatismes à la jambe se mirent à la faire souffrir. A la fin des années 1790, elle décida de quitter l’Irlande et de vivre à Londres avec William. Elle avait aussi dans l’idée de trouver des maris riches pour ses plus jeunes filles, Lucy, Sophia, Cecilia, et Mimie (Emily Charlotte) .

Pendant la Révolution française, la famille d’Emily demeura à Londres, seul son fils préféré, Edward (« Eddy ») se rendit en France où il partagea avec enthousiasme les idées révolutionnaires. Irlandais de cœur, il songea bientôt à organiser la rébellion irlandaise contre les troupes anglaises et à faire de l’Irlande une Irlande libre. Il confia ses élans à sa mère, persuadée que celle-ci l’encouragerait (Emily avait été et était toujours une lectrice assidue des livres de Jean Jacques Rousseau prônant la liberté et les idées nouvelles). Mais contrairement à son attente, Emily fut horrifiée des idées d’Edward et elle le conjura de ne pas initier de révolution en Irlande. Il venait de se marier en 1792 avec Nancy Sims qui venait de donner naissance à leur troisième enfant, et Emily conjura Edward de penser à sa famille et de rester à Londres.

Ce fut peine perdue, Edward Fitzgerald se rendit à Dublin et organisa la résistance contre les troupes anglaises. Traqué par les anglais, il fut arrêté dans un pub de Dublin ; il résista violemment et fut blessé à l’épaule, avant d’être jeté dans la prison de Dublin le 19 mai 1798. Emily fit jouer ses relations pour faire sortir son fils de prison, elle se rendit auprès de son frère Charles 3ème duc de Richmond qui intercéda auprès du ministre Pitt. Mais les preuves contre Edward étaient accablantes, de plus son état de santé (son épaule ne fut pas soignée) était inquiétant.

220px-Gilbert_Stuart_(1755-1829)_-_Portrait_of_William_Robert_Fitzgerald,_2nd_Duke_of_LeinsterWilliam, le 2ème duc de Leinster, fils d’Emily

Son frère Henry Fitzgerald tenta de le rencontrer pour obtenir qu’un chirurgien le soigne, mais la septicémie s’était déclarée dans l’épaule du prisonnier, qui se mit bientôt à délirer dans d’atroces souffrances.

 Son frère ainé, William Robert 2ème duc de Leinster eut l’autorisation du gouverneur de Dublin de rendre visite à son frère. Sa tante Louisa Lennox lady Conelly obtint aussi l’autorisation de rendre visite au prisonnier souffrant, elle se rendit au chevet de son neveu accompagné du frère de ce dernier, Henry Fitzgerald. Ils assistèrent au dernier instant du malheureux. Le plus triste c’est que le gouvernement était prêt à accorder sa clémence à Edward Fitzgerald, mais ce furent les conditions de détention et le mauvais traitement de sa blessure qui accélèrèrent sa mort. La nouvelle de son décès fut transmise à Emily par son mari William Ogilvie. Le 9 septembre la rébellion irlandaise était anéantie dans le sang : il y eut 30 000 victimes parmi les rebelles. Le nom d’Edward Fitzgerald devait figurer comme martyr dans le mouvement des indépendantistes irlandais.

220px-Emilia_Olivia_St_George,_the_Duchess_of_Leinster_by_Hugh_Douglas_Hamilton_(circa_1740-1808)Emilia St George épouse du 2ème duc de Leinster (et bru d’Emily)

En 1800, Emily Lennox avait soixante neuf ans : elle avait enterrée douze de ses vingt deux enfants, mais elle était une vieille dame pleine de vigueur : elle continuait de donner des réceptions chez elle à Harley Street, écrivait des lettres sans relâche et s’occupait de ses enfants et de son « cher amour » William Ogilvie. L’âge l’avait peu changé, elle croyait toujours en la raison et restait la disciple de Rousseau, hostile au militarisme, et francophile jusqu’au plus profond d’elle-même.

En 1809, elle posera pour le peintre Martin Archer Shee, et le tableau montre une vieille dame décidée et un peu distante. Ogilvie lui écrira après avoir vu le tableau « ce ne sera pas ce que vous étiez à vingt ans ou à quarante, mais ce sera la plus belle femme de votre age du royaume. »

Leur histoire d’amour continuait, le couple se calinait comme des jeunes mariés. Si Ogilvie s’absentait, il lui adressait des petits mots d’amour. Ayant une santé de jeune homme, il s’était persuadé qu’Emily continuerait à tenir le rythme de leur jeunesse, en voyageant, et en ayant des projets, mais au printemps 1814, la constitution solide d’Emily commença à se fissurer.

Elle eut une pneumonie mal soignée, et le mal la vainquit soudainement le 27 mars 1814 à l’âge de quatre vingt deux ans. Ses deux dernières sœurs, Louisa Lennox et Sarah lui survivaient.

William Ogilvie combattit son chagrin en se jetant dans de nouveaux projets : il se voua à l’étude de la défense de la mer et de la construction des ports. Il vécut à Ardglass, en Irlande et y organisera un port où les navires pouvaient trouver refuge lors des déchainements de la mer d’Irlande. Il ne devait mourir qu’en 1832, à l’age de quatre vingt douze ans, dix huit ans après Emily, celle qu’il appelait encore dans ses petits mots « ma petite coquine ».

 Descendance d’Emily Lennox :

Elle eut neuf fils et dix filles de son premier époux James Fitzgearld comte de Kildare et duc de Leinster :

 

  1. George (né en 1748, mort prématurément à dix sept ans de maladie).
  2. William Robert (né en 1749, mort en 1804) succèdera à son père en tant que 2ème duc de Leinster. Il épousera en 1775 Emilia Ussher Saint George et en eut 8 enfants.
  3. Caroline (née en 1750, morte à quatre ans).
  4. Emilia Maria (née en 1752, morte en 1818), épousera à 22 ans Charles Coote, comte de Bellamont : ce mariage faillit ne pas se faire du au scandale des rumeurs du remariage de sa mère avec Ogilvy.
  5. Henrietta (née en 1753, morte à dix ans).
  6. Caroline (née en 1755, morte à quelques semaines).
  7. Charles James (née en 1756, mort en 1810) 1er baron Lecale of Ardglass.
  8. Charlotte (née en 1758, morte en 1836), servira de nounou à ses nombreux frères et sœurs, et du à son « mauvais caractère » eut du mal à se trouver un mari. Elle finit par épouser à 31 ans Joseph Holden Strutt.
  9. Louisa Bridget (née en 1760, morte à cinq ans).
  10. Henry (né en 1761, mort en 1829) deviendra général dans l’armée britannique : réussit à se rendre au chevet de son frère Edward dans sa prison de Dublin ; il épousera en 1791 une riche héritière Charlotte Boyle baronne de Ros, et tous leurs enfants (onze au total) reprendront le nom de son épouse en s’appelant Fitzgerald-Ros.
  11. Sophia Sarah (née en 1765, morte en 1845), mourra célibataire à 83 ans.
  12. Edward (né en 1763, mort en martyr révolutionnaire irlandais en 1795) : à sa mort, sa femme quittera l’Irlande et l’Angleterre et se réfugiera à Hambourg.
  13. Robert Stephen (né en 1765, mort en 1833) deviendra diplomate, et épousera Sophie Charlotte Fielding dont il aura 8 enfants.
  14. Gerald (né en 1766, mort en 1788), engagé dans la marine, il trouvera la mort à l’age de vingt deux ans, en mer, lorsque son navire coula.
  15. Augustus (né en 1767, mort à quatre ans).
  16. Fanny (née en 1770, morte à cinq ans).
  17. Lucy Anne (née en 1771, morte en 1851) épousera Thomas Fowley dont elle n’aura pas d’enfants, un ami de l’entourage de Charles James Fox.
  18. Louisa (née en 1772, morte à quatre ans)
  19. George Simon (né en 1773, mort à dix ans) : son père était l’amant de sa mère, William Ogilvie qu’elle épousera en deuxième noces.

 

Elle eut trois filles de son second mariage (aout 1774 à Toulouse) avec William Ogilvie, et trois fausses couches :

 

  1. Cecilia (née à Marseille en 1775, morte en 1824) : elle épousera en 1795 Charles Lock, consul général britannique à Naples dont elle aura trois enfants.
  2. Charlote (née et morte en 1777)
  3. Emily Charlotte « Mimie » (née à Paris en 1778, morte en 1832) épousera en 1799 Charles Georges Beauclerc (un descendant de Charles Beauclerk, 1er duc de Saint Albans, fils de Charles II et de sa maitresse Nell Gwynn) et en aura treize enfants.

A venir, l’histoire de la sœur de Caroline Lennox et d’Emily Lennox :

– Sarah Lennox (celle qui aurait pu devenir reine d’Angleterre).

 

sources :

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Time limit is exhausted. Please reload CAPTCHA.

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.